Charlotte - David Foenkinos
Immense coup de cœur. Pourtant, l'exercice n'était pas évident et le pari loin d'être gagné d'avance. David Foenkinos a porté ce projet pendant des années avant d'être enfin à même de lui donner forme, de le mettre en musique et en mots. Et quels mots... Une sorte de long poème en prose, sublime.
J'admire la sobriété avec laquelle il tire le fil de son histoire, cette histoire qui le hante depuis qu'il a découvert l’œuvre de Charlotte Salomon, artiste peintre à la trajectoire si heurtée, si marquée par le destin. Juive allemande, morte à vingt-six ans en 1943, enceinte, gazée par les nazis parmi tant d'autres. Fasciné par son œuvre, David Foenkinos est donc parti sur ses traces, tentant de reconstituer sa vie, son environnement, ses sentiments, son inspiration. La vérité d'une femme et celle d'une artiste.
Le destin de Charlotte est marqué, qu'elle le veuille ou non, par la mort, ces suicides qui se sont succédé au sein de sa famille, comme une épidémie incontrôlable, inexpliquée. Sa vie est jalonnée de douleurs, de violences, à partir du moment où les nazis arrivent à la tête de l'Allemagne : humiliations, interdictions en tous genre, à présent, chacun sait comment cela se passait. C'est un miracle qu'un professeur des Beaux Arts à Berlin, touché par les promesses qu'il devine chez l'artiste en devenir parvienne à obtenir son admission alors que l'école est interdite aux juifs. Oui, sur sa route, Charlotte fait aussi d'heureuses rencontres, de celles qui aident, qui réconfortent, qui inspirent ou qui révèlent. Grâce à ces femmes et ces hommes, elle parviendra à finaliser le projet qui lui tient à cœur, celui qu'elle qualifie comme étant "toute sa vie". Entre 1940 et 1942, réfugiée dans le sud de la France, Charlotte écrit, dessine et peint l'histoire de sa famille. Une œuvre lumineuse, un tel contraste avec les horreurs du quotidien.
Car Charlotte est une survivante, de celles qui ont choisi la vie, plusieurs fois déjà alors que le désespoir et les exemples familiaux la portaient vers d'autres solutions. Et c'est là l'essence même de l'expression de sa peinture. C'est incroyable comme David Foenkinos arrive à faire vivre la sensibilité de l'artiste, à faire presque toucher du doigt son inspiration créative. Son enquête sur les lieux qui ont accueilli Charlotte, certains marqués d'une plaque commémorative, d'autres enfouis ou oubliés permet presque de la faire revivre entre les lignes.
Il y a une telle sincérité dans ces pages, c'est peut-être le secret de l'émotion qui envahit le lecteur au fil des phrases. Lors du déjeuner de délibération du Prix des Lecteurs de l'Express dont il était le président cette année, David Foenkinos nous avait expliqué à quel point ce livre était important pour lui. Très différent de ce qu'il a pu produire jusqu'ici même si, ça et là, une tournure de phrase, une image, une petite musique indiquent qu'on est bien chez lui, dans l'univers délicat qui est le sien. Cette façon de dire si bien les sentiments.
J'ai pleuré. En tant que lectrice, cela ne m'était plus arrivé depuis "Les noces barbares" de Yann Queffélec. Les larmes au yeux parfois... mais pas cette profonde émotion qui étreint au point de faire naître les sanglots.
C'est un sublime hommage, un texte magnifique, une véritable déclaration d'amour à la femme autant qu'à l'artiste. Je n'ai qu'une envie : le relire.
Vraiment, lisez-le.
"Charlotte" - David Foenkinos - Gallimard - 221 pages