Academy Street - Mary Costello
"Academy Street" est de ces livres qui vous prennent aux tripes, l'air de rien, tout en finesse et en légèreté. Peut-être parce que l'histoire de Tess a quelque chose d'universel et fait écho à des sentiments enfouis chez la plupart des individus, ces anonymes qui mènent leur vie du mieux possible sans que personne ne s'y intéresse. Tess n'est pas une héroïne mais elle est exceptionnelle, comme l'est chacun d'entre nous.
Tess a sept ans lorsque le décès de sa mère lui fait découvrir la solitude, un sentiment et un état qui ne la quitteront pas pendant le reste de sa vie. Le silence de son père s'impose à l'ensemble de la maisonnée, une ambiance que ses nombreux frères et sœurs supportent chacun à sa manière. Les années passent. L'école, puis l'internat. Tess se découvre une vocation d'infirmière et parvient à trouver une formation dans un hôpital de Dublin. L'occasion de quitter la demeure familiale et d'oublier que Claire, la sœur adorée part aux Etats-Unis rejoindre l'une de leurs tantes, Molly, installée à New York. Claire se marie, fonde une famille et Tess la rejoint. L'Amérique ! L'ouverture sur un monde nouveau, bien loin de sa campagne irlandaise, bien loin même des quelques années passées à Dublin. Tess poursuit son apprentissage de la vie et de la solitude. Elle observe, elle tente de comprendre ce qui se joue autour d'elle, ces liens sociaux qui se tissent et dont elle se sent exclue, presque persuadée de son manque d'intérêt pour autrui. Peu de gens entrent dans sa vie, elle dit elle-même que "peu font l'affaire" non par arrogance mais par souci de relations vraies dans lesquelles deux individus se reconnaissent. C'est ce qu'elle croit trouver avec David. Il y aura une nuit. Et puis un enfant. Mère célibataire, Tess assume avec courage et avec l'aide de Willa, sa voisine et sa seule amie. Théo grandit, se détache de sa mère comme tout adolescent, prend son envol et fonde à son tour une famille... Jusqu'au drame.
Ce que raconte Mary Costello à travers l'histoire de Tess c'est tout simplement la vie dans ce qu'elle a de plus banal, non pas au sens de sans intérêt mais au contraire, dans celui de commun à tous. Elle parvient à saisir ces moments où l'individu est seul face aux questions posées par un monde si vaste qu'on a dû oublier d'en fournir le mode d'emploi. Elle nous offre un personnage magnifique, fidèle à ses valeurs, avide de comprendre et de s'améliorer mais peut-être un peu trop plombée par son désir de ne pas déranger.
Sa solitude, Tess la soigne avec les livres. "Ce à quoi elle avait toujours aspiré - connaître la beauté, l'amour, le sacré -, elle le trouvait dans les livres. Elle se dérobait au laid, au vulgaire, mais jamais à la souffrance ou à la douleur de la honte, devinant dans l'âme de l'auteur des efforts colossaux qui visaient à transcender ces dispositions, à extirper de la blessure ou de l'angoisse une révélation, un aperçu, qui élèveraient le personnage comme le lecteur vers un nouvel état de grâce." Ces livres qui font tellement écho à ses propres sensations. Même s'il faut bien rester ancré dans le réel qui la rattrape une fois le livre refermé et qu'elle s'astreint à affronter sans jamais se plaindre..
De quoi est faite une vie ? A-t-on seulement le temps de le comprendre avant qu'elle ne se termine ? Ce livre merveilleux pose la question avec une délicatesse poignante qui m'a plusieurs fois menée au bord des larmes. C'est peut-être ça, le talent.
"Academy Street" - Mary Costello - Seuil - 187 pages (traduit de l'anglais par Madeleine Nasalik)