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Délire d'amour - Ian McEwan

26 Décembre 2015 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Délire d'amour - Ian McEwan

Il y avait donc un roman de Ian McEwan que je n'avais pas lu. Et pas n'importe lequel. Un roman qui rassemble déjà toutes les qualités qui m'ont rendue inconditionnelle des écrits du Monsieur. N'en déplaise à ma libraire préférée, il ne délogera pas Expiation de la première marche du podium - pour moi, il reste son meilleur et l'un des meilleurs romans de ces dernières décennies. Néanmoins, il vaut sans conteste le détour. Petit bijou d'humour noir à la cruauté si savoureusement britannique...

Bâti à partir du thème du harcèlement amoureux et d'une pathologie connue sous le nom de syndrome de Clérembault, ce roman offre surtout une réflexion magistrale sur les rapports humains en général et ceux des couples en particulier. Comme souvent chez Ian McEwan, un événement subit vient chahuter la vie bien réglée d'un héros, le transformant aussitôt en spécimen soumis aux observations sans concession de l'écrivain, telle une souris de laboratoire. Elément déclencheur, révélateur... l'auteur joue ensuite avec son sujet, le torturant sans vergogne. Opposant le rationnel à l'irrationnel. Joe le scientifique, toujours en quête d'une explication logique à Jed l'illuminé en proie à un délire amoureux incontrôlable.

"On voit ce qu'on croit. C'est la raison des divorces, des différends frontaliers et des guerres, et c'est aussi pourquoi telle statue de la Vierge pleure des larmes de sang et telle autre, de Ganesh boit du lait. Voilà pourquoi la métaphysique et la science sont des entreprises si courageuses, des inventions si saisissantes, plus cruciales que la roue, que l'agriculture, des créations de l'homme qui vont à l'encontre de la fibre même de la nature humaine. La vérité désintéressée. Mais elle ne peut nous sauver, les ornières sont trop profondes. Il ne peut y avoir de salut individuel dans l'objectivité".

Un jour donc, alors que Joe Rose vient en aide, avec quelques autres, à un aérostat à la dérive, il croise le regard de Jed. Échange anodin pour Joe, révélation pour Jed persuadé d'avoir saisi dans ce regard rien de moins que l'amour fou. Commence alors une période de harcèlement par tous les moyens - téléphone, courrier, présence immobile devant son domicile - qui va crescendo au point de devenir vraiment menaçant. Sauf que le comportement de Joe, altéré par la situation le fait paraître suspect lorsqu'il s'avise de s'ouvrir de ce harcèlement. Sa compagne, Clarissa se demande s'il n'est pas fou (et le lecteur aussi du coup), quant à la police...

Bref, plongez un sujet apparemment normal et heureux dans une situation déstabilisante et laissez-le se débattre. Regardez remonter à la surface toutes les frustrations qu'il pensait avoir laissées derrière lui, savourez ses tentatives désespérées pour rétablir un peu de logique là où il n'y en a pas du tout, observez le voile des apparences voler si facilement en éclat. Telle est l'expérience à laquelle vous convie Ian McEwan, aussi terrifiante (ce syndrome existe et a fait l'objet d'un certain nombre de romans dont dernièrement celui de Florence Noiville L'illusion délirante d'être aimé que je n'ai pas lu mais que Charlotte l'Insatiable a chroniqué) que désespérément ironique. Décidément, Ian McEwan est le roi du grain de sable dont il sait mieux que quiconque décortiquer et magnifier les effets.

"Délire d'amour" - Ian McEwan - Folio - 398 pages (traduit de l'anglais par Suzanne Mayoux)

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K
J'adore cet auteur, je note ce titre dont je n'avais jamais entendu parler.
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N
Idem ! Mais c'est intéressant de découvrir tardivement ce roman écrit en presque début de carrière par McEwan et qui préfigure déjà ses futures constructions.