Au commencement du septième jour - Luc Lang
C'est un roman qui laisse groggy, éreinté mais heureux. Comme après une bonne séance de running, avec l'impression d'avoir été au-delà de la souffrance pour atteindre cette pleine conscience de son corps, cet état de semi béatitude qui permet de tout pardonner. Luc Lang attrape son lecteur dès les premières lignes et ne le lâche plus, le menant à un rythme effréné sur les chemins de la connaissance de soi. Car c'est de cela dont il est question au fil de ces 500 pages que l'on dévore. Éplucher, couche après couche, tout ce qui nous sépare de la quintessence de notre être. Se dépouiller des querelles, des faux-semblants, des mensonges, des chimères, de tout ce qui nous cache aux autres et à nous-mêmes. Renouer. Se réconcilier. Revivre.
C'est au moment où sa vie bascule que nous débarquons dans la vie de Thomas, la petite quarantaine, informaticien toujours débordé, mari de Camille elle-même cadre hyper dynamique chez un opérateur de téléphonie et père de deux enfants, Elsa et Anton. Une vraie publicité ambulante cette famille. Jusqu'à ce coup de téléphone, en pleine nuit. Camille, victime d'un terrible accident sur une route de Normandie est dans le coma. Problème : elle n'aurait jamais dû se trouver sur cette route. A partir de cette situation que l'on peut qualifier de classique et même de déjà vue, Luc Lang bâtit un roman exceptionnel, dans lequel le lecteur chemine constamment aux côtés de Thomas, à son rythme, au rythme de son souffle, tantôt haletant, tantôt résigné mais toujours tourné vers l'avant, même lorsqu'il s'agit de replonger dans le passé.
Des raisons de l'accident, de la présence de Camille sur cette route, nous ne saurons rien parce qu'on ne met pas toujours des éléments rationnels sur des questionnements existentiels. Thomas a beau être un as de l'informatique, pénétrer le système informatique de la voiture accidentée, il n'aura pas de réponse à ses questions. L'essentiel est ailleurs. Dans le déséquilibre que crée désormais cette absence. Dans les questions qui pèsent sur tout ce qui faisait jusqu'à présent l'environnement de Thomas. Avec la mort de Camille, les failles du passé ressurgissent, l'envie pour Thomas de renouer les liens distendus avec sa fratrie. Camille était plus proche de son frère Jean que lui-même, il y avait une compréhension entre eux qui n'existait pas entre les deux frères. Thomas commence par se rapprocher de Jean, qui a repris la ferme familiale dans les Pyrénées et mène une vie sobre de berger producteur de fromages au milieu des brebis. Ce n'est que le début de sa quête qui le conduira ensuite en Afrique, dans un Cameroun en proie aux incursions armées de Boko Haram, là où sa sœur, Pauline est installée en tant que médecin depuis une quinzaine d'années.
La grande réussite de ce livre c'est la façon dont l'auteur nous donne à comprendre, à ressentir même la longue mais profonde transformation de Thomas, confronté à tout ce qu'il n'a jamais voulu voir ou savoir, obligé de se frotter à des interrogations qu'il a jusque-là totalement mises de côté, de sortir de sa zone de confort. Il est question d'identité, de métissage, de transmission, d'origines, d'héritage, de ce qui sépare ou soude une famille. L'écriture, le ton, le rythme, tout converge vers ce chemin que Thomas se doit d'accomplir jusqu'au bout. Mais ce que nous raconte Luc Lang, c'est la vie. C'est notre monde, complexe, violent, trop rapide. Les choix que l'on fait. Les multiples dimensions d'un homme. Il nous dit que nous avons les moyens de reprendre les choses en mains. A condition d'accepter la souffrance et d'affronter ses démons.
"...il songe qu'un nouvel ordre mathématique étalonne sa vie, que les mesures sont à reprendre, qu'il a vécu dans une obscurité insouciante qui aurait pu durer jusqu'à ses derniers jours peut-être, si Camille... puis Jean... La clairvoyance. Qui vient trop tard."
Oui, on sort totalement groggy de ce livre. Essoufflé mais ravi. Impressionné par la performance de l'auteur, ce fil narratif qui ne rompt jamais, l'émotion qui affleure au fur et à mesure que Thomas se débarrasse des scories qui polluent son esprit, et ces personnages, tous ces personnages auxquels on s'attache, qu'on a l'impression de connaître, qui deviennent des compagnons dont on a peine à se séparer.
Une réussite totale. Qui ferait un superbe Goncourt. Mesdames et messieurs les jurés...
"Au commencement du septième jour" - Luc Lang - Stock - 540 pages