Assez de bleu dans le ciel - Maggie O'Farrell
Je ne sais pas vraiment pourquoi mais Maggie O'Farrell parvient à me toucher à chaque fois. Depuis Quand tu es parti, bouleversant et justement réédité ces jours-ci par Belfond, j'explore avec elle les méandres des relations familiales faites de secrets enfouis, de sentiments trop souvent tus, de désillusions, de renoncements et de passions dévastatrices. Cette fois encore, elle fait mouche avec ce qui est peut-être son roman le plus ambitieux. Une fresque immense, une sorte de Grand Livre de la vie qui s'étend de 1944 à 2016 de New York à l'Irlande en passant par le Suffolk, La Californie et la Bolivie.
D'ailleurs, il faut parfois s'accrocher pour ne pas perdre le fil tant les sauts dans le temps et l'espace donnent une impression de vertige. Si l'intrigue tourne autour du couple formé par Daniel et Claudette Sullivan, les personnages qui s'y rattachent, comme autant de traces de leurs anciennes vies sont tout aussi importants, éléments d'un puzzle que le lecteur découvre dans un ordre très libre. D'où cette impression de tourbillon, moyen pertinent et intelligent de retranscrire l'état d'esprit de Daniel, le héros, dont les multiples vies se sont enchaînées sans qu'il les organise vraiment. Daniel qui a souvent fui, refusé l'obstacle ou tout simplement de se remettre en question. Lorsque nous faisons sa connaissance, nous sommes en 2010, dans le Donegal. Il vit avec Claudette, sa seconde épouse dans une maison totalement isolée avec leurs deux enfants, Marithe et Calvin. Alors qu'il s'apprête à prendre l'avion pour rendre visite à son père mourant à New York, une voix entendue à la radio le ramène soudain au souvenir de son premier grand amour, Nicola rencontrée alors qu'il étudiait en Angleterre. Un souvenir douloureux et qui s'avère dévastateur lorsqu'il comprend que la jeune femme est morte peu de temps après leur séparation.
A partir de là, le lecteur est entraîné dans une vaste rétrospective des vies de Daniel et de Claudette et je ne vais pas vous en parler ici car je n'ai aucune envie de dévoiler quoi que ce soit de ce passionnant parcours. Sachez simplement qu'il est question de choix, de famille, de vie amoureuse et de paternité. La question de la filiation est omniprésente et c'est autour de ce point que l'auteur tisse sa toile en montrant l'impact des différents choix sur les générations futures. Depuis Teresa qui renonce aux promesses de l'amour pour tenir un engagement jusqu'à à Rosalind qui découvre les mensonges de toute une vie d'un mari qu'elle croyait connaître. De Nicola qui choisit sa carrière plutôt que la maternité à Maeve qui ne recule devant aucun sacrifice pour devenir enfin mère. A travers ces choix de femmes c'est pourtant bien de paternité dont il est question. Paternité imposée ou au contraire volée. Et paternité voulue, vécue, recréée, assumée.
Maggie O'Farrell mène son intrigue de main de maître, nous offre une galerie de personnages romanesques à souhait mais surtout humains, tellement humains. Elle excelle à nous parler de ce qui est tu, qui ronge et attend son heure pour faire écrouler tout l'édifice d'une vie bâtie sur des fondations branlantes. Mais elle croit également en la capacité de l'homme à se reconstruire et, plus important que tout, elle croit au pouvoir de l'amour.
Loin de toute mièvrerie, sans aucune facilité, Maggie O'Farrell nous livre un superbe roman d'amour, celui d'un couple hors normes et terriblement attachant. De la très belle ouvrage.
"Assez de bleu dans le ciel" - Maggie O'Farrell - Belfond - 496 pages (traduit de l'anglais par Sarah Tardy)