La chaleur - Victor Jestin
"Le camping avait ses propres lois. Deux semaines de vacances, c'était une vie entière. On y arrivait comme on naît, pâle et seul. On en repartait dans un soupir de tristesse ou de soulagement comme on meurt".
Victor Jestin est un tout jeune homme de 25 ans dont la fraîcheur des traits ne laisse rien présager de la maîtrise narrative dont il fait la démonstration avec ce premier roman. Ce novice vous tisse une ambiance, vous enroule une atmosphère avec la dextérité du chef étoilé montant une mayonnaise en un tour de poignet. C'est ce qui m'a impressionnée, autant que la façon dont il saisit les sensations particulières qui étreignent un adolescent, tout en déséquilibre, en questionnements, en difficultés à être.
Cet adolescent c'est Léo, 17 ans, en vacances en famille dans un camping des Landes ; il fait très chaud, c'est le dernier jour ce qui a plutôt tendance à réjouir le jeune homme mal à l'aise avec la notion de vacances et son lot d'injonctions au bonheur ("souris, c'est les vacances !"). Ce qu'il ne s'explique pas cependant c'est sa passivité au moment où il aperçoit un autre adolescent, Oscar, en train de s'étrangler avec la corde d'une balançoire. Jeu dangereux d'un gamin après une soirée trop alcoolisée ? Geste volontaire ? Quoi qu'il en soit, Léo le regarde s'étrangler et mourir. Ce sont les premières lignes du livre, et le début de cette ultime journée pour Léo dont les parents, la sœur et le frère ne soupçonnent évidemment rien du drame. Non seulement Léo n'a pas bougé, n'a pas donné l'alerte mais il a enterré le corps d'Oscar...
Ces 24h dans l'esprit d'un adolescent sont ensuite parfaitement mises en scène en épousant le rythme nonchalant qui le caractérise - peut-être un peu conforté par la canicule. Léo se sent tellement en décalage, obligé de faire semblant et de jouer le jeu des vacances alors qu'il voudrait être ailleurs. Il voudrait être avec une fille, faire comme les autres mais en même temps ne veut pas... Tout ceci contribue à créer une atmosphère saisissante tandis que l'ombre d'Oscar plane sur les moindres mouvements du jeune homme.
Le regard est très juste dans ce qu'il capte de la réalité d'un ado des années 2010 presque 20 : ceux qui se la jouent Tinder et vidéos pornos et débandent le moment venu, le règne des caïds et des dominants, le sexe devenu un tel enjeu d'image qu'ils en oublient de le vivre pleinement, la nécessité de grandir, s'affirmer, "être un homme" sous les yeux inquiets des parents dont les remarques deviennent autant d'injonctions.
Écriture maîtrisée, sens de la dramaturgie, Victor Jestin est sans conteste une plume à suivre. Il vient d'ailleurs de recevoir le Prix littéraire de la vocation décerné chaque année par la fondation Bleustein-Blanchet pour la vocation à un jeune auteur de moins de 30 ans. Un bel encouragement à continuer. En attendant, on peut prévoir de se réchauffer avec La chaleur au cours des mois d'hiver qui pointent le bout de leur nez...
"La chaleur" - Victor Jestin - Flammarion - 140 pages