La soustraction des possibles - Joseph Incardona
Joseph Incardona a l’art de servir des romans percutants, autant dans leur propos que dans leur forme. C’était déjà le cas avec Derrière les panneaux il y a des hommes. Il ne ménage pas son lecteur et lui sert la comédie humaine dans toute sa splendeur. Son levier n’est pas le cynisme, ce serait trop facile. On sent derrière les épreuves qu’il impose à ses héros un subtil soupçon de tendresse. Il les aime ces pauvres créatures cupides, moins naïves qu’en quête de sens et de sentiments. Ici, il nous livre une sorte de grand roman de la finance.
L’idée de placer l’intrigue en 1989 est formidable. On est au carrefour de deux époques, juste avant que les lignes de code informatique ne remplacent les mallettes de billets. A Genève, bien sûr, incontournable plaque tournante de la finance. On est au sommet des années fric, de la réussite affichée de façon ostensible. On est chez les super riches qui ne sont jamais rassasiés, chez eux et chez ceux qui aspirent à se hausser à leur niveau. Comme Aldo et Svetlana. Lui est prof de tennis et gigolo, histoire de s’ouvrir des contacts, on ne sait jamais (ceux qui ont connu les dégaines des joueurs de tennis des années 80 s'y retrouveront, sourire en coin). Elle est sexy, secrète, poursuit une belle carrière dans la finance. Progression fulgurante mais il lui en faut plus. Les deux se rencontrent autour d’une mallette. Coup de foudre. Où vont se nicher les histoires d’amour ?
Joseph Incardona mène son intrigue à fond la caisse. Les mallettes passent la frontière suisse en Alfa Roméo (petit bras) ou en deltaplane, les putes manient le couteau aussi bien qu’un cuisinier japonais, le sexe est un attribut du pouvoir autant qu’un exutoire, les bergers corses diversifient leurs activités, derrière les apparences de luxe tranquille se cachent des ego féroces et prêts à tout. C’est à la fois violent et terriblement addictif. L'auteur n'hésite pas à enquiller les clichés pour mieux coller à l'époque et on se surprend à tiquer un certain nombre de fois, côté relationnel entre les deux sexes. On verrait bien les Delon et Claudia Cardinale de 30 ans au casting si c'était possible... On est au cœur des pires manœuvres de la finance et de ceux qui tirent les ficelles. Un peu « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les comptes planqués en suisse sans jamais oser le demander ». Mais ce qui intéresse Incardona c'est l'argent en tant que moteur du monde et la façon dont sa quête avilit les individus. C'est en cela que, sous sa couverture dorée, ce roman tire sérieusement vers le noir.
Mon seul bémol tient au principe stylistique qui peut lasser par ses effets au bout d'un moment et donner la sensation de longueurs à certains endroits. Pour le reste, le plaisir de lecture est évident. Ça envoie, c'est efficace, très cinématographique, l'auteur a visiblement pris son pied en l'écrivant et ça se diffuse au lecteur.
"La soustraction des possibles" - Joseph Incardona - Finitude - 390 pages