Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
motspourmots.fr

Oh, Canada - Russell Banks

3 Avril 2023 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

"Quand on n'a pas d'avenir et que le présent n'existe pas autrement que sous forme de conscience, on n'a pas d'autre soi que son passé. Et si, comme pour Fife, son passé est un mensonge, une fiction, alors on ne peut pas dire qu'on existe, sauf en tant que personnage de fiction."

La lecture du dernier roman de Russell Banks est d'autant plus troublante que l'auteur est mort peu de temps après sa publication et qu'il est difficile de ne pas faire le parallèle entre Leonard Fife, son personnage conscient de vivre ses derniers jours, et lui-même que la maladie avait empêché au dernier moment de venir au Festival America. Roman crépusculaire, empreint de mélancolie, d'une certaine tristesse mais surtout un texte d'une incroyable profondeur dès lors qu'il s'agit de mettre en relief ce qu'il reste d'une vie. Lorsque, arrivé au bout du chemin chacun est seul face à soi-même.

Leonard Fife est un célèbre documentariste, un homme engagé dont la légende s'est peu à peu écrite depuis son arrivée au Canada pour fuir la conscription aux Etats-Unis lors de la guerre du Vietnam. Ses films ont marqué les esprits mais il est aujourd'hui un homme rongé par la maladie et c'est sans doute la raison pour laquelle il a accepté de passer de l'autre côté de la caméra. Son appartement transformé en studio, une équipe de tournage s'apprête à recueillir une interview exclusive. Mais Leonard Fife, plutôt que de répondre aux questions qui visent à approfondir son œuvre n'a qu'une idée en tête : dire la vérité. A tous et surtout à sa femme, Emma, à ses côtés depuis 30 ans. Seule la caméra peut selon lui l'empêcher de mentir... Car avant le passage de la frontière en 1968, il y a eu une enfance un peu triste, une adolescence aventureuse, des mariages, des enfants dont il se demande parfois ce qu'ils sont devenus. Fife raconte devant un public de plus en plus mal à l'aise et un lecteur qui se demande où est la part de vérité dans ce qui ressemble à une fiction.

Il y a bien sûr ces quelques répétitions qui semblent indiquer que le cerveau de Fife ne tourne plus tout à fait rond, quelques détails qui intriguent, les réactions gênées du réalisateur et d'Emma. Il y a ces allers-retours entre le récit de Fife - avec le suspense qui monte peu à peu quant au déroulement de la fameuse journée qui l'a mené jusqu'à la frontière - et la scène du tournage. Il y a surtout un formidable talent d'écrivain qui interroge la part de fiction de chaque vie à l'aune du fonctionnement de la mémoire d'un individu. Aucune linéarité, des réminiscences, des flashs, des associations d'éléments qui proviennent du vécu ou de choses lues, vues, entendues. Les experts voudront nommer le phénomène, le lecteur cherchera à débrouiller le vrai du faux. Mais admirons plutôt la démonstration. Comme un dernier processus de création à l’œuvre. Et l'envie farouche de garder la main, même dans la mort. 

"Oh, Canada" - Russell Banks - Actes Sud - 332 pages (traduit de l'américain par Pierre Furlan)

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article