Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
motspourmots.fr

Le quatrième mur - Sorj Chalandon

17 Décembre 2013 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans, #Coups de coeur

Le quatrième mur - Sorj Chalandon

"La violence est une faiblesse". Voilà ce que ne cesse de répéter Samuel à son ami Georges. Samuel Akounis le grec, issu d'une famille juive de Salonique décimée pendant la guerre. Samuel le réfugié, rescapé du régime des généraux grecs. La violence, la guerre, il connaît. Certainement mieux que Georges, militant d'extrême gauche peu regardant sur les moyens - souvent violents - pour défendre les causes qu'il conçoit comme justes. C'est le théâtre, la mise en scène qui les rapproche. Le théâtre envisagé comme une arme politique. Georges monte des représentations pour soutenir les combats sociaux qui lui tiennent à cœur. Samuel a d'autres ambitions. Son rêve est d'utiliser le théâtre comme moyen de trêve, de parenthèse dans un pays en guerre. Il veut monter l'Antigone d'Anouilh, créée pour la première fois en France en pleine occupation allemande... Faire jouer ensemble ceux qui s'affrontent sur le terrain. Il choisit le Liban, alors théâtre de douloureux et féroces combats entre multiples factions. Son casting rassemble des acteurs musulmans, chiites, sunnites, palestiniens, druzes et chrétiens. Il a mis deux ans à les identifier et les rassembler.

Nous sommes en 1982 et Samuel cloué au lit par la maladie sait qu'il ne se relèvera pas. Il arrache à Georges la promesse de poursuivre et de concrétiser son projet, quoi qu'il arrive ; ce dernier, très réticent au départ, est soudain obligé de laisser la théorie de côté pour se confronter aux réalités du terrain. Une expérience à la fois belle et douloureuse qui, au fil des rencontres va bouleverser sa vie à tout jamais.

Le quatrième mur, c'est celui que les acteurs érigent symboliquement entre la scène et le public, celui qui peut laisser espérer qu'ils oublient, le temps de la pièce leurs habits de belligérants. Mais quelle peut-être la place pour le rêve face aux atrocités quotidiennes ? Georges s'investit corps et âme dans sa mission au point d'avoir le sentiment de trouver dans chaque communauté "une nouvelle terre. Une nouvelle famille." Une empathie dangereuse qui, alliée aux horreurs dont il sera le témoin le mettra dans l'incapacité de reprendre le cours de sa vie d'avant.

Ce livre est magnifique. Le récit poignant et sans concession du parcours de femmes et d'hommes pris dans une tourmente qu'ils ne maitrisent pas. Un témoignage sur les ravages de la guerre dans une région où malheureusement les conflits sont toujours d'actualité. Superbement servi par une écriture sobre, délicate et rythmée.

"Plus tôt, accompagné de Yassine, un responsable palestinien était venu me saluer. Main dans la mienne, il m'a dit que cette pièce de théâtre était une belle idée. J'ai été soulagé. Un homme, au moins, savait ce que je venais faire dans ce pays. Ce soir-là, je n'étais pas au Liban, pas à Beyrouth, pas même à Chatila. J'étais en terre d'exil. Une parcelle sans air entre deux murs gris. Un ciel bas, strié de fils électriques. J'ai ouvert le carnet de Sam. J'ai tout noté pour lui. Quelques mots sur la majesté des visages. Sur la dureté de certains regards. Sur les cheveux d'Imane, ses mains pâles, sa beauté stupéfiante. A son premier sourire, j'ai su qu'elle serait Antigone".

L'auteur laisse le dernier mot à Antigone et il n'y a rien à ajouter si ce n'est qu'une fois encore, les lycéens ont eu bon goût.

"Et voilà. Sans la petite Antigone, c'est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c'est fini. Ils sont tout de même tranquilles. Tous ceux qui avaient à mourir sont morts. Ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire - même ceux qui ne croyaient en rien et qui se sont trouvés rapidement pris par l'histoire sans rien y comprendre. Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux qui vivent encore vont commencer à les oublier et à confondre leurs noms. C'est fini." (Jean Anouilh - Antigone - 1942)

"Le quatrième mur" - Sorj Chalandon - Grasset - 327 pages

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
j'ai beaucoup aimé ce livre donc je vais continuer à suivre cet auteur. ce livre m'a donné envie de lire Antigone d'Anouilh que j'ai beaucoup aimé.... une belle rencontre
Répondre
N
Pareil. C'est le premier livre que je lis de lui et c'était une belle découverte. J'ai sauté sur un vieux classique Larousse de l'Antigone d'Anouilh que je ne connaissais pas non plus ; j'ai lu quelque part que les ventes d'Antigone avaient bondi cette année, certainement en lien avec le succès du livre...