Un ciel rouge, le matin - Paul Lynch
Une telle puissance d'évocation, c'est scotchant ! C'est un épisode des excellents "Carnets de route" de La grande Librairie, intitulé "Balade irlandaise" qui m'a donné envie de découvrir ce premier roman de Paul Lynch. Une époustouflante plongée dans l'Irlande du XIXème siècle, sa misère sociale, ses paysages âpres mais puissants, l'attachement des irlandais à leur terre. La nature est omniprésente dans ce roman, une nature qui dicte sa loi et inspire encore celle des hommes où règnent les plus forts. Car un ciel rouge, le matin est d'abord annonciateur de pluie...
"D'abord il n'y a que du noir dans le ciel, et ensuite vient le sang, la brèche de lumière matinale à l'extrémité du monde. Cette rougeur qui se répand fait pâlir la clarté des étoiles, les collines émergent de l'ombre et les nuages prennent consistance. La première averse de la journée descend d'un ciel taciturne et tire une mélodie de la terre."
C'est dans la contemplation de ce ciel rouge, prélude au déferlement de la volonté de la nature que nous faisons connaissance avec Coll Coyle, le jeune héros du livre, en proie à l'angoisse depuis qu'il a appris, la veille, que le nouveau propriétaire des terres où il travaille a décidé de les expulser, lui, sa femme enceinte et leur petite fille. Coll qui a vu mourir son père sur ces terres ne peut se résoudre à accepter cette décision qui n'a aucun sens et décide d'aller trouver le propriétaire, fils de celui pour lequel sa famille travaille depuis deux générations, pour lui demander des explications et plaider sa cause. Éternelle histoire des fils, héritiers sans panache ni mérite, tentés de se faire respecter par la violence. Mais l'entretien se passe mal et Coll n'a d'autre choix que la fuite. Une fuite que Paul Lynch nous rend palpitante, uniquement par son talent de description qui nous fait toucher la rudesse de l'environnement de Coll.
La première partie de sa fuite se passe sur son propre sol, en Irlande où, traqué par John Faller, une sorte d'intendant, homme de main du propriétaire, une brute obsédée par cette chasse à l'homme, Coll ne parvient à sauver sa peau que par miracle, en embarquant à bord d'un navire en route pour l'Amérique. La deuxième partie de sa fuite ce sont les 69 jours de traversée de l'Atlantique, dans des conditions de logement et d'hygiène difficiles à concevoir de nos jours. Là encore, grâce à la prose de Paul Lynch, on y est vraiment. Les tempêtes, les épidémies, les bagarres mais également les amitiés qui se nouent par dessus tout, et l'espoir d'une vie meilleure, là-bas. Coll n'a aucune idée de ce qu'il va faire une fois débarqué mais les entreprises chargées de développer les infrastructures de ce vaste territoire où tout est possible ont tout prévu. Les immigrants en quête de bonne fortune, de nouvelle vie ou tout simplement en fuite sont rapidement enrôlés sur les chantiers de construction des lignes de chemin de fer de Pennsylvanie. Coll passe de l'enfer de la traversée à un véritable travail de forçat, porté par l'espoir inouï de revoir un jour sa terre et sa famille, un ruban servant à attacher les cheveux de sa petite fille serré comme un talisman dans sa poche. Mais c'est compter sans la force du destin... et la troisième partie de la fuite qui commence alors au pays du Far West et des chasseurs de primes où domine la loi du plus fort.
Difficile de ne pas éprouver d'empathie pour ce personnage, éternel opprimé au cœur d'une société où règne l'injustice. "Un ciel rouge, le matin" est un magnifique roman à la prose riche et poétique au service de l'histoire d'une vie parmi tant d'autres qui ont façonné l'histoire de l'Irlande et des États-Unis. Un auteur à découvrir et à suivre !
"Un ciel rouge, le matin" - Paul Lynch - Albin Michel - 285 pages