Victor Hugo vient de mourir - Judith Perrignon
/image%2F0757919%2F20160123%2Fob_4cb709_victor-hugo-vient-de-mourir.jpg)
Judith Perrignon a cette étonnante capacité à faire revivre les morts par la grâce d'une plume taillée pour la narration. Elle m'avait beaucoup émue avec C'était mon frère, en choisissant de se faire le porte-voix de Théo Van Gogh qui n'a pas survécu plus de six mois à la mort de Vincent. Elle donnait à voir un versant moins éclairé du célèbre peintre, loin des raccourcis et des étiquettes. Un magnifique récit, qui m'imprègne encore plusieurs années après sa lecture. Et la voici qui s'intéresse à présent à Victor Hugo ou plutôt au séisme provoqué par son décès, le 22 mai 1885.
Avec un brio déconcertant, l'auteure transporte son lecteur au chevet du grand homme, auprès de sa famille, de ses proches mais également de tous les anonymes qui se pressent pour lui rendre un dernier hommage dans les rues d'un Paris encore agité par les soubresauts de la Commune. Elle nous guide à travers les méandres des multiples groupuscules politiques, des mouvements d'idées, des revues et des journaux qui se font les relais des idées qui s'affrontent en permanence. La mort de Victor Hugo déclenche une véritable hystérie parmi les révolutionnaires et autres anarchistes qui ne rêvent que de ranimer la flamme de l'insurrection ; du côté du gouvernement on sent bien sûr le danger, on déploie un dispositif de sécurité, on infiltre des agents au sein des groupes politiques qui pourraient poser problème. Et surtout, on se dépêche d'orchestrer des funérailles nationales pour empêcher le peuple, ce petit peuple si souvent célébré et défendu dans les romans de Hugo de s'approprier l'événement. La date (un lundi, jour œuvré pour tenter de contenir la foule), le parcours (rive gauche, pour les mêmes raisons), le cérémonial (cercueil exposé toute une journée sous l'Arc de triomphe), tout est contrôlé au millimètre. Car il ne faudrait pas que ces funérailles soient celles de l'homme politique que fut Victor Hugo. Ne doit rester dans les mémoires que le Poète...
Le roman que nous sert Judith Perrignon est aussi une façon de s'interroger sur ce qu'est devenu l'héritage de Victor Hugo. Qu'avons-nous fait des idées de liberté, d'égalité et de démocratie si ardemment défendues par cet homme durant toute sa vie ? Que devons-nous à celui qui refusa la pression de l’Église jusqu'à son lit de mort au point que l'on finit par débarrasser l'église Sainte Geneviève de ses attributs religieux pour inaugurer ce qui est encore l'actuel Panthéon, dernière demeure des grands hommes ? Qu'est devenue "la phrase" du poète, celle qui porte, suscite les espoirs et incite à les concrétiser ? Ces funérailles grandioses ont-elles atteint leur but, celui de museler à jamais le penseur politique ? Il est toujours intéressant de se pencher sur la façon dont on parvient à étouffer la grandeur des idées et de voir comment nous-mêmes sans forcément nous en apercevoir, nous contribuons à piétiner les idéaux que nous ont légué d'illustres combattants...
"La phrase aime les températures extrêmes, les poètes, c'est connu, grandissent avec les tyrans. Mais une torpeur démocratique s'est progressivement installée, comme l'électricité le long des rues, nous avons perdu l'habitude d'avancer dans l'obscurité, nous avons laissé l'algorithme économique gouverner, Marche ou crève. Nous sommes devenus de moins en moins sensibles aux épopées poétiques et au bonheur des peuples, moins tendres, moins naïfs aussi, plus froidement personnels. La phrase est au mieux un très beau livre, au pire un cache-misère aux tribunes officielles. On ne dit plus les pauvres, les riches trouvent que ça fait mauvais genre, on dit d'où ils sont et la couleur de leur peau. C'est plus précis et ainsi on ne leur doit rien. Ils ont perdu la protection des mots".
Avec ce roman écrit avec passion et une réelle empathie, c'est un livre éminemment politique que nous offre Judith Perrignon, faisant le lien entre les époques et provoquant la réflexion. Elle nous tend un miroir et nous invite à contempler notre siècle à l'aune des révolutions passées. C'est passionnant et superbement bien fait.
"Victor Hugo vient de mourir" - Judith Perrignon - L'iconoclaste - 250 pages
NB : et pour compléter cette lecture, pourquoi pas une petite virée à Bièvres où se cache au milieu d'un superbe parc Le château des Roches devenu La Maison Littéraire de Victor Hugo/ Une exposition retrace son parcours, ses écrits, ses contributions politiques. Passionnant et enrichissant.