Article 353 du code pénal - Tanguy Viel
Cela faisait longtemps que j’avais envie de lire Tanguy Viel dont l’univers ou en tout cas ce que j’en entendais dire me parlait. C’est peut-être une bonne chose de découvrir un écrivain un peu tardivement, alors même que sa plume atteint un degré de maturité qui lui permet d’exprimer de multiples facettes. Cela m’est arrivé avec Jean Echenoz dont j’explore à présent l’œuvre avec délectation. J’ai l’impression que ça pourrait être la même chose avec Tanguy Viel dont j’ai apprécié la subtilité et la dextérité dans l’assemblage des couches qui dévoilent peu à peu un propos riche et dense.
Car ce huis-clos entre un juge et un prévenu, en plus de révéler un drame personnel est l’occasion d’un livre éminemment politique. A travers l’histoire de Martial Kermeur, c’est la réalité d’un territoire qui s’affiche, une ville de Bretagne économiquement dépendante des entreprises et des projets de développement qui garantissent l’emploi, des élus seuls face à des prises de décision parfois lourdes de conséquences. Tanguy Viel parvient à mêler l’intime au drame sociétal, montrant avec une belle maestria comment notre société de consommation peut conduire une personne fragile ou déstabilisée à commettre l’irréparable.
Martial Kermeur retrace dans le bureau du juge les événements qui l’ont conduit à jeter à l’eau et abandonner Antoine Lazenec, le promoteur immobilier qui devait faire la richesse de la ville. Une histoire qui remonte le fil de plusieurs années et démonte peu à peu le processus qui a amené Martial, licencié de l’Arsenal comme des centaines d’autres à investir ses indemnités dans l’achat d’un appartement d’un complexe qui n’a jamais dépassé le stade des premiers travaux de creusement. Ancien ouvrier, vivant seul avec son fils, Martial est un homme simple qui pensait peut-être regagner l’admiration du petit Erwan lassé de voir son père squatter le canapé à longueur de journées vides d’occupation. Antoine Lazenec avait du bagout, et c’est toute la ville qu’il a entraînée derrière lui.
« Mais ce que j’aurais dû penser ce soir-là, ce que j’ai appris à penser depuis, c’est que ce n’est jamais bon signe de croiser deux fois dans la même journée un gars qu’on ne connaissait pas la veille ».
Avec le recul, forcément, les signes que l’on n’a pas perçus alors apparaissent soudain comme évidents. Mais pour le lecteur, ce qui apparaît avec clarté au fil de l’intrigue, c’est la situation de faiblesse dans laquelle se trouvait Martial, les failles que Lazenec a su exploiter, chez lui et chez tous ceux qu’il a arnaqués, Maire compris. Face à la dureté du monde extérieur, la moindre faiblesse peut conduire au drame. Les cyniques n’hésitent pas à en profiter, sans aucun remord tandis que la justice peine à justifier son nom en laissant libres des escrocs, une sorte de double peine pour ceux qui ont été spoliés.
Article 353 du code pénal est un livre implacable, maîtrisé de bout en bout d’une écriture précise et tenue. Un livre qui laisse peu à peu apparaître les différentes facettes qui le composent et nous tend un miroir où se reflète une société rongée par les impératifs économiques qui aboutissent trop souvent à la négation de l’humain.
Une lecture profondément marquante que je suis ravie d'avoir partagée avec Delphine.
"Article 353 du code pénal" - Tanguy Viel - Les Editions de Minuit - 174 pages