L'enfant qui mesurait le monde - Metin Arditi
Voici l'une des belles découvertes offertes par le Prix du Roman Points, surtout que Metin Arditi faisait partie des auteurs que j'avais envie de lire depuis un moment. Un roman solaire, l'histoire d'une belle rencontre entre un homme mur qui a presque tout perdu et un enfant autiste qui cherche à rétablir l'ordre du monde, dans une Grèce empêtrée dans la crise. La Grèce, symbole de la beauté et de la culture soudain confrontée au désordre et au désastre d'un monde devenu fou.
"Il fut un temps où nous offrions au monde des temples, des stades et des amphithéâtres. Aujourd'hui, nous défigurons un site merveilleux pour y construire le Périclès Palace, symbole de nos rendez-vous répétés avec le ridicule et la honte. Appauvri et hagard, notre pays sombre chaque jour davantage dans l'indignité et le malheur."
Lorsque le maire de Kalamaki, une île de la mer Egée au large du Péloponèse présente aux habitants le projet de construction d'un complexe de luxe dans l'une des plus jolies criques de l'île, la plupart des habitants y voient une solution à leurs difficultés financières. Et tant pis pour le charme bucolique et le respect de la nature. Seuls Eliot, un américain, ancien architecte installé sur l'île depuis une douzaine d'années et Maraki, la mère du petit Yannis s'en émeuvent. Cette dernière s'inquiète de l'impact d'un tel projet sur l'équilibre de son fils, autiste qui bénéficie de l'entourage bienveillant de tout le village. Le patron du bistrot parviendra-t-il encore à imposer l'immobilité à ses clients chaque soir à 20h pour permettre à Yannis de les compter ? De toute façon, le projet semble déjà perturber le garçon qui l'assimile à une pieuvre tentant de prendre possession de l'île. Il trouve auprès d'Eliot, l'attention et la tendresse d'un père inconsolable depuis le décès accidentel de sa fille, douze ans auparavant alors qu'elle étudiait les amphithéâtres et les temples de la région et dont il a repris les travaux. Lorsqu'il retrouve un projet de sa fille portant sur l'implantation d'une université d'un genre nouveau, il décide de le présenter comme contre-projet aux autorités chargées d'octroyer les financements.
"Tu sais, je me demande si on n'apprend pas plus de la vie en jouant une pièce d'Eschyle ou de Sophocle qu'en lisant Platon. Mais il faut pour cela vivre la pièce en acteur, se mettre dans la peau du personnage, assumer ses sacrifices et ses cruautés... Du coup, on prend conscience de la place qu'occupent les passions dans la vie... On commence à saisir la fragilité de la condition humaine... Faire du théâtre, ça grave ton âme, tu ne crois pas ?"
Beauté et culture contre tourisme de masse synonyme d'argent. Tout le dilemme est résumé ici. La sensibilité de Yannis, les calculs qu'il effectue pour mesurer les déséquilibres du monde et les corriger chaque jour à sa manière rejoignent la façon dont Eliot appréhende le monde en étudiant le pouvoir du Nombre d'Or que les anciens utilisaient dans leurs constructions. La perfection, l'équilibre magique qui explique la sensation de beauté inouïe qui saisit celui qui observe un tel monument.
Metin Arditi livre ici un magnifique roman, par l'intermédiaire de deux êtres qui ressentent le monde. Il propose une réflexion passionnante sur la nécessité de trouver le bon équilibre, de continuer à apprendre des anciens pour avancer avec mesure. L'amour, la tendresse, l'amitié et l'attention aux autres y ont la part belle, ce qui ne gâche rien.
"L'enfant qui mesurait le monde" - Metin Arditi - Points (Grasset) - 256 pages