Les attachants - Rachel Corenblit

Il y a des romans qui vous prennent par surprise, se jouent de vos a priori, brisent les barrières de vos certitudes et vous touchent droit au coeur. Les attachants est arrivé un jour de juin, un retardataire tout perdu dans une grande enveloppe, un petit dernier à évaluer pour le compte du Prix du Roman Fnac alors que je pensais les avoir déjà tous reçus. Un coup d'oeil à la quatrième de couverture, une école, une jeune institutrice, des gamins... hum... pas trop ma tasse de thé tout ça. Et pourtant...
Pourtant, le récit d'Emma m'a captée dès les premières pages, je me suis sentie en empathie avec cette jeune héroïne alors que rien ne nous rapproche. Une année dans la vie d'une femme. Une année d'apprentissage pendant laquelle Emma explore les relations humaines dans sa vie personnelle et avec une de ses premières classes. Une année forte, surprenante, parfois difficile et qui marquera à jamais la jeune institutrice. Les figures des gamins dans l'école d'un quartier défavorisé d'une grande ville du Sud-Ouest, les réalités d'un contexte social favorisant le désordre, le quotidien d'une équipe pédagogique oscillant entre incompréhension, écoute et affirmation d'une autorité. Sous la plume de Rachel Corenblit, le récit se déroule avec une sorte de grâce, de légèreté, sans jamais forcer le trait. L'auteure met son expérience en tant qu'enseignante et écrivain de littérature jeunesse au service de ce texte touchant, juste et vibrant.
Grâce à elle, on perçoit jusque dans sa chair les questionnements permanents de l'institutrice sur son rôle, ses limites, la juste distance face à ces petits êtres qu'elle est chargée d'accompagner mais dont elle n'est ni la mère, ni l'amie, ni même l'assistante sociale.
"Une classe, c'est comme un roman. Vingt-six histoires qui se combinent, qui se heurtent, qui s'emboîtent. Cinq jours sur sept, de huit heures du matin jusqu'à la fin de l'après-midi, près de neuf mois dans une année, ces histoires se tissent. Si l'on calcule le temps passé ensemble on s'effraie de constater à quel point une classe absorbe les individus qui la constituent."
Il y a donc ces histoires qui happent Emma et dont certaines individualités émergent, alertent par des signaux qu'il faut parvenir à comprendre. Le regard du petit Ryan par exemple, qui poursuit Emma jusque dans son sommeil. Et puis il y a sa vie de femme, son histoire à elle. La rencontre avec Mathieu, deux heures à peine pour succomber. "Et qu'on ne lui jette pas la pierre à Emma. Elle a des circonstances atténuantes. Il sentait le caramel. Une odeur douceâtre, un peu sucrée. Un homme qui a cette odeur ne peut pas être foncièrement mauvais".
On suit avec une émotion grandissante l'évolution de la relation d'Emma avec ses élèves tandis que son propre ventre s'arrondit et qu'elle se prépare à devenir mère à son tour. Une émotion qui trouve son apogée au cours de l'épisode de la classe de neige. Pur moment de grâce. Beau mais raisonnable. Poignant mais vrai. Magnifique.
Oui, il y a des romans qui vous cueillent par surprise, vous remuent les sentiments et vous offrent une vision de la vie un poil plus belle, un poil plus forte. Et rien que pour cela, ça vaut le coup.
"Les attachants" - Rachel Corenblit - la brune au rouergue - 190 pages