Légende d'un dormeur éveillé - Gaëlle Nohant

C'est un sacré pari de la part de Gaëlle Nohant. Ressusciter un poète oublié ou mal connu, une figure qui pour certains est synonyme de plaque de rue, de nom de lycée ou de comptine enfantine. Réussir à transmettre sa passion, à faire découvrir cet homme (je n'ose pas dire redécouvrir car j'avoue mes immenses lacunes à son sujet) et parvenir à nous faire regretter de ne pas l'avoir rencontré. Pari gagné si l'on en juge par les commentaires unanimement enthousiastes qui ont accompagné la parution de Légende d'un dormeur éveillé.
Un sacré pari, oui, parce qu'il n'est pas facile d'entrer dans ce roman et que je me suis fait peur pendant une bonne soixantaine de pages. Le Robert Desnos de la fin des années 20, début des années 30, dans le Paris des surréalistes mêlant poètes, cinéastes, peintres et muses, enchaînant soirées, discussions, conquêtes féminines... j'ai eu du mal à m'intéresser à lui. Un peu gênée peut-être par cette avalanche de noms, les anglo-saxons disent name dropping, qui me donnait le vertige. Difficile de faire émerger le poète dans tout ça, encore moins l'homme quand soudain, au détour d'une phrase : "... lui dont l'unique snobisme est de ne pas trier ce qu'il aime en fonction du bon ton. Entre Les Pieds Nickelés et Les Chants de Maldoro il refuse de choisir, son esprit curieux se nourrit de tout ce qu'il voit, goûte, respire.", l'envie s'éveille, "Son écriture est une possession et un vertige, une plongée, une odyssée sans limite et sans boussole. Elle est la seule puissance capable de l'arracher à la perdition amoureuse, à l'exquise souffrance d'aimer", puis se renforce. Mais c'est au milieu des années 30, lorsque la montée des nationalismes influence et interroge la vie intellectuelle et que l'homme se révèle dans toute sa splendeur, laissant affleurer le futur résistant, farouche défenseur des libertés que Robert Desnos m'a complètement ferrée.
A partir de là, ce livre est un régal. Gaëlle Nohant parvient à mêler habilement les fils qui narrent l'homme aux multiples activités, le poète, l'amoureux fou, l'homme de presse et de radio, le conteur pour enfants et le citoyen du monde, au moment où ce monde devient fou. On comprend son parcours, comment se nourrit sa création à travers ce qui l'entoure, le sens qu'il trouve peu à peu et qui irrigue son travail. On découvre un homme obstiné à rendre la vie plus belle à ceux qui l'entourent, par le pouvoir des mots, de l'imagination et des rêves. Jamais un livre n'a mieux porté son titre. L'émotion monte crescendo, grâce à la belle écriture de Gaëlle Nohant, portée par l'amour de son sujet et mêlant finalement sa voix à celle de Youki, le grand amour de Desnos dans un final de toute beauté.
En referment ce superbe roman, on n'a qu'une envie, se précipiter chez un libraire pour acquérir quelques œuvres de Robert Desnos mis en appétit par les quelques vers ou extraits de Journal qui ponctuent et illustrent judicieusement le livre. Pari gagné donc, et haut la main ! C'est avec un immense plaisir que je rejoins désormais le fan-club de ce roman et le cercle de plus en plus étendu des amoureuses de Robert Desnos.
Impossible de terminer sans citer l'un des extraits du Journal (1944) de Robert Desnos inséré par l'auteur :
"Que chaque jour t'apporte sa joie. Au besoin, provoque-la, prémédite-la. L'homme n'est homme que de sa naissance à sa mort. Avant comme après il n'est que matière même si, dans cette matière, est déterminé son destin d'homme."
"Légende d'un dormeur éveillé" - Gaëlle Nohant - Editions Héloïse d'Ormesson - 544 pages