L'enfant perdue - Elena Ferrante

Voilà, c'est fini... Quatrième et dernier tome de cette saga "prodigieuse" qui aura donc captivé des millions de lecteurs dans le monde entier. Si je me suis précipitée en librairie dès sa sortie, j'ai saisi le prétexte du mois italien organisé chaque année en mai par Martine pour faire durer le plaisir et ne pas avoir à lire trop tôt le mot fin. Il est vrai que je me suis attachée à Elena et Raffaella, Lenù et Lila, au fil des épisodes de leur vie. A un point que je n'aurais pas imaginé. Pour leur relation passionnelle, fusionnelle, faite d'amour et de haine, de tendresse et de jalousie, mais une relation unique qui les a stimulées quotidiennement même lorsqu'elles n'en avaient pas vraiment conscience. Pour la toile de fond politique, sociétale, de l'Italie de l'immédiat après-guerre jusqu'à nos jours, avec ces ombres toujours présentes, la violence qui s'exprime régulièrement, l'organisation mafieuse qui sous-tend les relations du quartier des héroïnes au cœur de Naples. Ce quartier que l'une a tenté de fuir mais que l'autre a conquis, ce quartier qui demeure au centre de tout.
Elena a fini par revenir à Naples pour vivre sa passion avec Nino. Et la voilà qui se débat dans les affres de l'adultère, confrontée à la faiblesse d'un homme qu'elle a porté aux nues, négligeant sa carrière. Gagnée par l'amertume et la colère sous les yeux de Lila désormais chef d'une entreprise informatique florissante ce qui assoit son influence au sein du quartier. C'est l'heure de la maturité, des premiers bilans et des nouveaux choix. Les deux femmes se rapprochent, leur complicité retrouvée alors même qu'elles tombent enceintes quasiment en même temps et vivent désormais une existence parallèle, presque apaisée... Apaisée ? C'est mal connaître nos deux héroïnes qui ne sont pas au bout des épreuves.
Je n'ai eu aucun mal à replonger illico dans la saga, comme si je les avais quittées la veille. Un peu décontenancée tout de même par le "classicisme" de la trajectoire soudain proposée à Elena dans ses démêlés avec son ex-mari, ses filles, ses beaux-parents et son amant qui ne se décide pas à quitter sa femme. Tout ceci n'avait plus rien de "prodigieux". Heureusement, à Naples et aux côtés de Lila, le conformisme ne fait pas long feu. Ensuite, c'est de nouveau le tourbillon mais beaucoup plus concentré sur la relation entre les deux femmes, leurs drames, leurs succès et leurs crises, alors que le contexte politique est simplement évoqué et que les grands débats intellectuels passent à l'arrière-plan. Comme si ce n'était plus l'heure des combats pour des causes qui semblent vaines ou en tout cas moins importantes à celles qui ont perdu beaucoup de leurs idéaux. C'est certainement ce qui fait le sel de cette saga. La faculté de l'auteure à saisir l'état d'esprit de ses héroïnes à chaque âge de la vie. Des rêves et serments de l'enfance aux désillusions libératrices de l'âge mur.
Voilà... c'est fini. Reste un impressionnant travail d'écriture qui comprend d'ailleurs un certain degré de mise en abyme et une interrogation sur l'inspiration de l'écrivain, sur les influences qui guident sa plume. Elena passe sa vie à se convaincre qu'elle n'est pas un imposteur tout en se nourrissant de ses scrupules vis à vis de celle qu'elle estime plus douée, plus créative, et qui joue le rôle de l'aiguillon. Qui parle sous la plume d'un écrivain ? Éternelle question !
Allez, ciao Lenù et Lila, c'était bien, vraiment bien.
"L'enfant perdue" - L'Amie prodigieuse IV - Elena Ferrante - Gallimard - 554 pages (traduit de l'italien par Elsa Damien)