Alto Braco - Vanessa Bamberger

"Il me semblait que le sentiment d'appartenance n'était qu'une construction de l'esprit, une histoire qu'on se raconte à soi-même. Je voulais bien croire à l'influence de l'environnement sur le corps et le mental, admettre que le pays de mes grand-mères les avait façonnées, faites dures comme le granit glacé, tranchantes comme le basalte, mais elles n'étaient pas nées ainsi".
Après un premier roman, Principe de suspension qui explorait le milieu des petits patrons d'industrie et les arcanes du couple, Vanessa Bamberger nous emmène sur le plateau d'Aubrac, terre d'élevage, de coutellerie et d'origine de nombre de bistrotiers de la capitale. Un voyage aussi rude que les paysages d'Aubrac avec au centre, la question des origines et de la transmission. Une terre peut-elle être inscrite dans nos gènes ?
Brune, la narratrice, n'y croit pas un instant. Elevée par sa grand-mère maternelle, Douce et la sœur de celle-ci, Granita, elle n'a aucun souvenir de l'Aubrac où elle passait pourtant ses vacances d'été lorsqu'elle était enfant. Pire, elle a la phobie des couteaux et ne supporte pas la viande rouge. Elle a toujours vécu à Paris, auprès des deux femmes qui semblaient très détachées de leur terre d'origine, dans l'appartement au-dessus du bistrot dont elles étaient propriétaires. Adulte, Brune ne s'est éloignée d'elles que de quelques rues. A la mort de Douce qui souhaitait être enterrée à Lacalm, le voyage en Aubrac va s'avérer riche en découvertes : une région, une famille, quelques secrets et quelque chose qui pourrait ressembler à un sentiment d'appartenance. Oui. Mais pas si simple...
Dans ce roman, le premier personnage est sans conteste l'Aubrac. Les paysages sortent du cadre de la page, les ciels engloutissent le lecteur projeté dans cet environnement minéral et décoiffé par l'écir, qui souffle sur le plateau où les vaches paissent tranquillement. Comment ne pas imaginer que cette terre façonne les hommes qui en sont issus ? L'auteure nous offre une vision à 360 degrés et parvient à faire ressentir la rudesse d'un territoire mais surtout ce qui le constitue. Ce lien charnel qui unit vaches et pâturages, au point qu'il se murmure que "sur l'Aubrac, les vaches étaient plus précieuses que les êtres humains". On s'amuse en cheminant dans le récit, du parallèle que ne peut s'empêcher de faire Brune entre les femmes et les vaches. Son prénom et celui de sa grand-mère ne sont-ils pas d'ailleurs des noms donnés aux vaches ? Mais on en apprend beaucoup sur cet univers de la production de viande, soumis à des conflits de générations entre tenants de la tradition et partisans du bio. La confrontation entre les idées des citadins et les réalités du terrain contribue à montrer la complexité de ces sujets. Et puis que serait un terroir sans ses plats ? La cuisine, les saveurs, les fumets, omniprésents dans la narration, disent l'importance des papilles dans la transmission.
Ceci dit, Alto Braco est aussi une jolie déclaration d'amour à ces deux femmes, personnages directement inspirés de la famille de l'auteure. En démêlant la pelote des fils enchevêtrés de l'histoire de sa famille, en découvrant peu à peu des réponses à des questions dont elle n'avait jamais eu conscience jusqu'à ce jour, Brune ne se défait jamais de l'amour immense qui caractérise sa relation avec ses "deux grands-mères". Comme dans son précédent roman, le cœur et la raison se renvoient la balle, et le cœur gagne, lui qui saigne de la perte de ceux qui nous sont chers et conserve intact le souvenir de l'amour échangé.
Un roman dense, intelligent et imagé, qui dit avec force et sensibilité l'importance de la connaissance de son histoire, sans laquelle on n'est jamais tout à fait complet.
"Alto Braco" - Vanessa Bamberger - Liana Levi - 238 pages
Lire également Un café avec... Vanessa Bamberger, compte-rendu de l'entretien que l'auteure m'a gentiment accordé.