L'eau de rose - Christophe Carlier

Il y a une chose que l'on ne peut nier : Christophe Carlier possède une plume élégante et ses textes irradient d'un charme désuet un poil mélancolique. Raison pour laquelle même une petite déception s'accompagne d'un réel plaisir de lecture et d'un désir de le remercier de faire naître ces ambiances quelque peu éthérées, où le temps semble s'être arrêté. Si je le rencontre un jour, je lui demanderai pourquoi les îles l'inspirent tant. En attendant, j'ai débarqué avec beaucoup de curiosité sur cette île grecque, lieu de villégiature idéal pour les écrivains en quête de calme et d'inspiration...
L'écrivaine, c'est Sigrid, auteure à succès de romans à l'eau de rose, qui pose donc ses valises dans une charmante pension, la Villa Manolis. L'été joue ses dernières semaines, les touristes sont peu nombreux, Sigrid compte mettre à profit ce séjour d'un mois pour démarrer un nouveau roman. Écriture le matin, balades et repos l'après-midi, tout est réglé. Mais dès son arrivée, une jeune femme attire son attention. Élégante, mystérieuse, la prénommée Gertrude capte tous les regards et devient le centre de la comédie sociale qui se met en scène entre les résidents. On s'observe, on se lie, on se tait mais on n'en pense pas moins. Alors que Sigrid tente tant bien que mal de faire progresser son intrigue et la relation qui se noue sur le papier entre Robert et Priscilla, il semble que ses personnages prennent quelques libertés et que le comportement des résidents de l'hôtel s'immisce également dans l'histoire. L'eau de rose se met ainsi à déborder largement le cadre du papier...
C'est à l'exergue qu'il faut revenir avant d'aller plus loin, et cette citation d'Oscar Wilde : "Un masque nous en dit plus long qu'un visage". Et tous, ici, se cachent derrière un masque ou jouent un rôle. L'hôtel est une sorte de scène où les protagonistes sont tour à tour acteurs et spectateurs ; Sigrid elle-même, que ses écrits laissent envisager comme une femme ayant vécu de grandes passions amoureuses, pratique surtout par l'imagination. L'imagination... Tiens. Serait-ce la clé ? L'écrivain s'inspire-t-il du réel pour tisser ses histoires ? Ou bien voit-il tout simplement la réalité par un filtre teinté de rose ?
C'est la question que l'on se pose à la fin, sans vraiment avoir la réponse. Je suis restée sur une impression un peu flottante, pas très sûre d'avoir tout à fait perçu où l'auteur voulait en venir. J'ai beaucoup moins souri qu'à ma lecture de Ressentiments distingués dont j'avais goûté l'humour délicieux. J'ai adoré suivre les amours de Robert et Priscilla au fil de l'avancée de Sigrid, c'est assez truculent (et plutôt bien écrit dans le genre) mais j'ai l'impression que l'intention de l'auteur ne se distingue pas assez pour permettre une démonstration limpide. C'est dommage. Mais cela ne m'empêchera pas de continuer à m'intéresser à la plume de Christophe Carlier, singulière et ambitieuse.
"L'eau de rose" - Christophe Carlier - Phébus - 236 pages