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Ces romans que tout le monde encense... et qui me laissent de marbre.

15 Novembre 2020 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Malgré mes nombreuses années de découvertes littéraires, malgré les millions d'avis de lecteurs et de critiques journalistiques ingurgités, malgré la petite voix de la raison qui me répète que nous n'avons pas tous les mêmes goûts, que parfois c'est une question de moment... malgré tout ceci, ne pas adhérer à un roman que nombre de mes contacts encensent - et plus particulièrement des lecteurs qui m'inspirent, voire des auteurs que j'admire et adore - continue à me déstabiliser et à m'interroger. Car c'est la preuve de la fragilité du conseil en matière de littérature. Un conseil qui touche juste est en fait le résultat d'un incroyable concours de circonstances. On peut toujours s'inspirer des retours de lecture des autres, de l'avis d'un libraire, d'une quatrième de couverture. Ou s'en remettre à son instinct. Son envie. La rencontre est périlleuse, sur un fil. La lecture de l'un n'est pas celle de l'autre. C'est pourquoi, lorsque suite à un avis réservé ou négatif de ma part quelqu'un m'affirme qu'il ne lira pas le livre en question, à moins de l'avoir trouvé vraiment mauvais j'ai presque envie de le défendre auprès de mon interlocuteur, consciente que sa lecture pourrait être très différente. A contrario, un mauvais retour sur un livre que j'ai adoré me donnerait presque envie de pleurer. Chacun met de lui dans sa lecture et c'est ce qui la rend si vivante et chargée en émotions. Alors voici ce qui m'est arrivé avec ces deux livres de la rentrée littéraire, sélectionnés pour de nombreux prix, encensés par la critique, lestés de coups de cœur de lecteurs ...

Prenons d'abord Saturne de Sarah Chiche. Honnêtement, je ne l'aurais certainement pas lu s'il ne m'était arrivé dans une sélection de romans à évaluer pour un jury littéraire. Mais, intriguée par les nombreux éloge reçus par le précédent ouvrage de l'auteure, Les enténébrés, je me suis lancée avec curiosité et envie. Et la première partie m'a enthousiasmée. J'y ai trouvé un souffle, un ton, une langue qui m'ont captivée. Scotchée à cette histoire d'amour fou, à la violence des sentiments, à cette quête sur la perte et l'absence. Tant que l'auteure maintenait une distance fictionnelle et que j'avais bien l'impression de lire un roman, j'ai adoré. Et puis tout a basculé. Le dessein de l'auteure est apparu en gros, en trop gros. Tout s'est concentré dans une spirale autocentrée, ressassant le mal-être et donnant l'impression d'assister à une psychanalyse en direct. Et là, elle m'a perdue car cela représente tout ce que je fuis en littérature. J'ai même fini le livre passablement énervée avec l'impression d'avoir été flouée. Bref, je me tiendrai à distance désormais, preuve tout de même que mon instinct ne m'avait pas trompée.

"Saturne" - Sarah Chiche - Seuil - 206 pages

Venons-en à Thésée, sa vie nouvelle à présent. Finaliste du Goncourt, bardé de critiques gorgées de superlatifs amoureux, et un pitch qui a priori compte quelques arguments pour me plaire. J'achète, donc. Pour une fois me dis-je, j'aurai peut-être lu le Goncourt avant sa proclamation... C'est alors qu'a commencé mon calvaire. L'histoire de Thésée est celle d'un homme qui décide de changer de ville et même de pays afin de laisser derrière lui les drames humains traversés par sa famille (suicide de son frère, mort de ses parents). Il embarque ses enfants, s'installe à Berlin mais trimballe tout de même quelques cartons d'archives hérités de ses aïeux. C'est dans ces documents que vont se dévoiler les drames qui hantent sa famille depuis des générations et dans lesquels il trouvera l'explication des douleurs qui colonisent son corps sans raison physiologique. Le lecteur est donc entrainé dans une longue spirale de questionnements et de lamentations, brassant finalement assez peu d'éléments mais les répétant inlassablement. Et c'est long. Très long. Sous couvert de démonstration autour de l'épigénétique, il faut tout de même s'infliger un sacré ressassement. Qui est aussi un drôle de règlement de compte de l'auteur vis à vis de ses parents, que j'ai trouvé assez malsain dans sa forme à moitié cachée puisque cette histoire est bien la sienne et celle de sa famille. Bref, ce livre m'a non seulement ennuyée mais laissé un sentiment d’ambiguïté gênant quant aux intentions de l'auteur. Pour un flop, c'est un vrai flop.

"Thésée, sa vie nouvelle" - Camille de Toledo - Verdier - 256 pages

Il n'est pas toujours facile d'aller à contre-courant, d'avouer que l'on s'est prodigieusement ennuyé en lisant un soi-disant "chef d’œuvre" ; je ne sais pas si vous avez remarqué mais lorsqu'une personne s'y risque, alors d'autres s'autorisent enfin à dire "moi aussi". Oui, la rencontre entre un livre et un lecteur est décidément une alchimie aussi complexe que subtile. C'est ce qui fait tout son sel.

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C
Mon expérience en tant que jurée du Prix Elle 2020 me l'a démontré aussi : j'ai mis des notes très hautes à des livres détestés par d'autres, et j'ai trouvé archis nuls certains romans portés aux nues par mes co-jurées ... En littérature, tout avis est très très subjectif, et il faut se fier à son instinct, plutôt qu'aux conseils (ce qui ne m'empêche pas d'écrire mes chroniques, mais j'insiste bien : ça ne reste que mon avis très personnel) ...
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N
Oui, l'instinct est important mais... parfois la bonne surprise est aussi au rendez-vous, grâce au conseil d'un libraire, d'une amie qui te connait bien ou d'une lecture imposée par un prix littéraire. Un avis est forcément subjectif, c'est sûr.
N
Les deux m'attendent. Le premier parce que j'ai littéralement adoré Les enténébrés (si tu ne l'a pas lu, fonce, enfin tente...!), et le second parce que comme toi je l'ai beaucoup vu ici et là... Bref, on verra bien, mais j'ai peur de ne pas aimer le second... Je te dirai !
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N
Je pense que je ne vais pas tenter, non... en tout cas pas pour l'instant. Mais je suivrai la suite de tes aventures avec curiosité.
M
J'adhère totalement à ta réflexion, chère Nicole, au mot près! N'ayant pas lu les deux romans évoqués, je ne saurais dire si "moi aussi" pour ces deux-là...
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N
Merci Magali :-)
S
Votre propos est tellement juste! Il est tellement frustrant parfois de ne pas partager le sentiment éprouvé par certains, de passer à côté d’un livre. Néanmoins, il n’en demeure pas moins que la lecture doit rester un plaisir et si ce dernier n’est pas au rendez-vous, pour quelque raison que ce soit, alors ce n’est pas si grave, d’autres découvertes viendront bientôt effacer cette déception.<br /> S’agissant de S. Chiche, je n’ai pas pu aller au bout de son précédent roman, en dépit des avis élogieux lus ça et là. Paradoxalement, votre avis sur son dernier livre amenuise à posteriori ma déception de n'avoir pas su l’apprécier. Votre sincérité fait du bien.
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N
Oui cela peut être frustrant, parfois incompréhensible voire même déstabilisant mais enfin... chacun lit avec ce qu'il est à un moment donné, cela joue dans la façon dont on reçoit un texte.
A
Je dois être une extraterrestre, je n'avais jamais entendu parler de ces deux livres. Mon intuition a dû me boucher les oreilles, et visiblement, elle a eu raison. Merci de m'éviter des déceptions ...
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N
Disons que ce sont deux livres dont la presse spécialisée et les blogs se sont beaucoup fait l'écho depuis leur sortie, sélectionnés pour beaucoup de prix littéraires... mais il est fort possible de passer au travers :-)
B
C'est bien ça le but d'une critique, d'une "bonne" critique : donner envie de lire, et non pas dégommer ou encenser un livre sans aucune subtilité dans le propos. Et puis, surtout, c'est la liberté d'aimer ou de ne pas aimer un livre ou plutôt de s'en sentir nourri ou pas.<br /> Bonne journée.
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N
Disons que l'on peut succomber à une bonne critique qui nous a donné envie de lire un livre et être déçue ou ne pas l'aimer. Du coup, est-ce la critique qui était mauvaise car elle donnait une fausse idée du livre ? Je pense que la rencontre entre un texte et un lecteur dépend de tellement de choses qu'il est difficile d'exprimer des certitudes à ce niveau... un lecteur, par le biais d'une critique exprime ce qu'il a perçu et ressenti (je parle des critiques sincères bien sûr) et le lecteur suivant ne percevra pas forcément la même chose.
P
Pour ces deux titres-là, je n'étais pas tentée, je n'en peux plus des histoires de famille. Et j'ai tendance à me méfier des trucs que tout le monde aime, c'est toujours un peu louche (sauf cas de chef d’œuvre absolu ! - relativement rare) J'ai quand même observé qu'au fil des années, les avis négatifs disparaissent, que ce soit chez les pros ou chez les amateurs. On se permet de s'enthousiasmer, mais plus rarement de "dézinguer" un livre (sauf peut-être au Masque et la plume - mais c'est leur fond de commerce) On a souvent des avis très complaisants, sur des bouquins qui ne le méritent pas.
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N
Tu as raison, oui, beaucoup d'avis trop complaisants et une nette tendance à cacher ses détestations... Sauf pour quelques comptes qui affichent leur liberté de jugement et de ton, notamment sur Instagram et qui ne mâchent pas leurs mots le cas échéant. Prendre position le premier n'est pas toujours évident, il faut assumer ... c'est sûrement la raison des sorties de bois un peu plus tardives. Je te suis aussi sur les histoires de familles, surtout lorsqu'elles servent à régler des comptes ou à se faire des nœuds au cerveau.
K
Pas grand chose à ajouter à cette très riche discussion que tu as lancée. J'aime bien, lorsqu'un livre menace de me tomber des mains, aller chercher un avis "discordant" pour ne pas me sentir seule et pour confirmer mes impressions sur ce qui ne me plaît pas. Quand le roman me plaît, je n'ai pas le temps d'aller chercher ailleurs ! <br /> Pour les livres dont tu parles, mon instinct me dit très fort qu'ils ne me plairaient pas (quoique j'ai lu quelques avis à leur sortie, étant vaguement hésitante) fussent-ils dotés d'une écriture extraordinaire... En effet, si l'instinct est utile pour repérer les thèmes qui nous parlent, on ne peut pas préjuger à l'avance du style, et parfois, c'est ce qui coince.
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N
Effectivement le sujet ne fait pas tout, c'est tout le reste qui compte, le style, la construction, le regard de l'auteur, son parti-pris... Et même un retour de lecture ou une chronique peut être mal interprété, cela m'est déjà arrivé de m'apercevoir que je m'étais fait une idée du livre qui ne correspondait pas du tout à la réalité.
K
Il me semble (de mémoire) qu'on a quelques avis communs sur certains livres ^_^ ce qui conforte mon envie de suivre aussi tes détestations. Pour Chiche, ça va être facile, je n'ai pas aimé Les enténébrés, pour le second, déjà, que ce soit un poil autofiction, ça m'agace. Mais je pourrais voir, parce que Verdier (oui, il y a des arguments)<br /> L'affaire est bien compliquée entre livre et lecteur. Si en plus on ajoute le moment, bon ou mauvais.<br /> De toute façon, je pense qu'on est entre gens aimant les livres, cela reste en commun.Heureusement qu'on n'a pas les mêmes goûts. <br /> Et je fais partie des gens qui n'ont pas adoré Les hauts de Hurlevent, mais je précise que c'est peut être parce que j'étais trop âgée. Mais je n'ai pas lancé de groupe quand même ^_^ .
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N
Oui, heureusement que chacun a sa personnalité, ses envies, ses moments... et que cela entre en ligne de compte dans ses lectures. (J'ai lu Les Hauts de Hurlevent l'année dernière, peut-être trop vieille aussi, j'ai trouvé ça intéressant mais ça n'a pas déclenché en moi un phénomène d'adoration tel que j'en voit passer régulièrement ;-) )
K
Bien souvent, lorsque je suis à contre-courant, je n'écris par d'article parce que je ne me sens pas légitime pour dire que je n'ai pas aimé. Quand je le fais, je prends un soin particulier à bien expliquer ce que je n'ai pas aimé dans le roman. C'est une histoire personnelle entre le livre et son lecteur, parfois ça fonctionne, parfois non. Et d'autres auront beau dire que le livre est exceptionnel, s'il ne parle pas à la petite flamme qui est en nous, et bien il n'y a pas grand-chose à faire. En revanche, il m'est arrivé souvent aussi de commencer un livre, de l'abandonner parce que je ne sentais rien, et puis de le reprendre quelque temps plus tard et de l'apprécier. C'est donc aussi une histoire de disponibilité. Tout ça est bien complexe et tu le dis bien. Mais je suis comme toi, lorsque que je lis une critique négative sur un livre que j'ai adoré, ça me fait toujours un petit pincement au cœur. <br /> Pour en revenir aux livres dont tu parles, je pense qu'ils ne me conviendraient pas parce que je fuis les autofictions et préfèrent les romans qui créent un univers, loin de toute histoire personnelle de l'auteur. J'ai tenté de lire Les enténébrés, le précédent de Sarah Chiche et je l'ai abandonné avec la ferme intention de ne pas le reprendre.
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N
Tu as raison de souligner cette question du moment. Et cette petite voix qui nous souffle de laisser encore un peu de temps avant la lecture. Cela m'est arrivé aussi. Ensuite, la question de la légitimité est vite réglée pour moi : il ne s'agit pas d'un jugement sur le livre lui-même (enfin, si, parfois quand vraiment je l'ai trouvé très mauvais mais c'est rare) mais du récit d'une rencontre qui ne s'est pas faite entre un livre et un lecteur. Par contre, je n'écris que ce que je me sens capable de dire en face à l'auteur en cas de discussion.