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Finir les restes - Frédéric Fiolof

4 Février 2021 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Récits, #Coups de coeur

"Il y a tellement de questions, n'est ce pas ? Tellement d'espoir confié aux mots. On oublie. On ne sait plus par quel tour de passe-passe ils sont devenus les seuls actionnaires de nos existences"

Les mots, il arrive qu'on les trouve par le plus grand des hasards. Un livre attrapé au-dessus de la pile, un auteur que l'on ne connaissait pas, un titre qui intrigue, quelques pages feuilletées, des mots qui portent. L'écho. Celui qu'on n'attendait pas, qu'on n'attendait plus. Que l'on n'a pas trouvé dans les ouvrages conseillés ou offerts par les amis, que l'on a parfois rencontré au détour d'une page, mais qui n'avait pas cette intensité. Soudain, mon corps reconnaît, réagit. Mon cœur bat à l'unisson, mon ventre se contracte. Les mots que je lis parlent de moi. De ce que je ressens mais ne sais pas exprimer. Pourtant, le deuil auquel ils font référence n'a rien à voir avec le mien. Frédéric Fiorlof évoque ses parents, perdus à quelques années d'écart, d'une même lente et longue maladie. Et les questionnements que cette perte génère peuvent bien être universels, la façon de les poser, de les débarrasser du surplus inutile, de les étaler dans toute leur simplicité, leur évidence, je ne l'avais pas encore rencontrée.

"Réaliser que tes souvenirs, à présent, ne seront plus jamais que les miens"

Ce simple constat me chamboule, parce qu'il frappe juste. Met le doigt sur l'irréversibilité de la perte, de ce que sera désormais une vie lorsque s'inscrira l'absence comme une présence en creux. Ces quelques mots saisissent exactement le désarroi de ceux qui restent face au trop-plein de souvenirs, au vide qui se creuse là où se tenait l'autre tel un miroir. Dans ces quelques pages, le cheminement de l'auteur s'agrippe lui aussi aux mots des autres, à la littérature, à ces phrases qu'on lit parfois sans y attacher d'importance parce que, à ce moment-là, on n'est tout simplement pas concerné. Passent en quelques pages, les questions si essentielles qui nous obsèdent autant que la vie et la mort sont inextricablement liées. Mais la plume de l'auteur est douce, juste, légère, précise. Elle n'insiste jamais, se contente de souligner d'un trait fin à peine marqué. Sa colère est paisible, son chagrin élégant, son regard indulgent. Son texte est lumineux.

Ce texte, chacun le lira et le recevra avec sa propre part de vie, de confrontation avec la mort. Il est assez épuré pour permettre la projection et au-delà, la rencontre. J'y ai puisé des trésors inédits, un écho inespéré, de quoi apprivoiser quelques tourments. Un récit au très grand pouvoir consolateur. Désormais posé à portée de mains.

"Seuls nos yeux se cherchaient encore au fond d'un puits impartageable. Vers quoi aurais-je bien pu t'accompagner quand je n'avais plus que nulle part où te conduire ? Ce lieu insensé auquel je ne t'avais pas destinée. Certains mots sont restés figés là. Dans toute leur maladresse. On ne peut pas vraiment leur en vouloir, nous sommes des êtres maladroits. On n'accompagne jamais ses vivants vers la mort. Jamais."

"Finir les restes" - Frédéric Fiolof - Quidam Editeur - 114 pages

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K
Tu en parles tellement bien... tu as raison, nous ne recevons pas tous les textes de la même façon, selon qu'ils nous parlent ou non, qu'ils s'adressent à notre coeur, à notre esprit ou à notre corps... Tu en parles tellement bien qu'on a envie de le lire...
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N
Disons que sur ce sujet particulier, c'est sensible et j'ai conscience du caractère très personnel de la rencontre avec ce texte. Néanmoins, sa justesse et son dépouillement (dans le sens noble du terme) me laissent penser que sa portée a quelque chose d'Universal.
D
J'aime beaucoup ton évocation de la manière dont un texte retentit en nous. Le corps qui reconnaît avant même le cerveau qu'on est face à quelque chose de déterminant pour nous. Je me reconnais tellement dans tes mots.<br /> Et puis ce titre est très fort, je trouve. La trivialité d'une expression qui déplacée dans un autre contexte traduit un recours à une forme de cuirasse pour dire l'indicible et la douleur. C'est très fort. En tout cas, c'est comme ça que je le perçois au travers de ton billet.
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N
Merci, Delphine. Disons que sur ce sujet très sensible, je pense que le corps entre en jeu avant le cerveau, oui. C'est lui que les mots percutent par les sensations qu'ils font résonner. C'est la première fois qu'un texte me touche aussi profondément grâce à l'écho qu'il suscite. Quant au titre, il trouve son explication, pas si triviale dans le déroulé mais fait aussi très justement sonner la teneur du propos.
M
Tes mots sur ces mots-là, Nicole les rendent tentants et précieux et me donnent envie de les proposer à ceux à qui ils pourraient être utiles, merci.
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N
Merci Magali. C'est effectivement un texte que j'ai aussi envie de conseiller, même si je suis bien placée pour savoir que la rencontre avec des mots, surtout sur ce sujet sensible est très personnelle. Ceux-ci m'ont trouvée par surprise, ce fut d'autant plus fort.