Journal d'un écrivain - Virginia Woolf
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Voilà vingt ans que ce Journal est posé sur ma table de chevet. C'est ma lecture récente de Mrs Dalloway qui m'a enfin décidée à y entrer et à me retrouver totalement happée, fascinée. Être soudain plongée dans le cheminement de la pensée de l'écrivain, dans ses questionnements, ses doutes mais également ses obsessions m'a captivée. Tout comme le fait de pouvoir confronter le résultat (Mrs Dalloway) aux échos et au cheminement de son élaboration, de découvrir la place que l'écriture de ce roman prendra ensuite dans l’œuvre de Virginia Woolf. Pour les prochains romans que je découvrirai, ce sera l'inverse : j'aurai d'abord assisté à ce qu'ils ont "coûté" à leur auteur en énergie, en nombre de versions, en migraines mais surtout en affirmation d'une détermination qui semble l'absorber tout entière. Je me réjouis à l'avance de cet écho et de ces lectures parallèles.
Le Journal d'un écrivain a été composé par le mari de Virginia à partir des nombreux cahiers de son Journal, et comme son nom l'indique, il se concentre sur ce qui a trait à l'écriture entre 1918 et 1941 quelques jours avant son suicide. Je m'attendais à de la mélancolie, j'y ai trouvé de l'humour, de la force, de l'intelligence, de l'esprit, de l'acuité et, oui, tout de même un peu de mélancolie. Il est question de littérature - elle est aussi critique, biographe et bien sûr grande lectrice n'hésitant pas à user de remarques acides et à remettre en question quelques légendes du métier. Le regard qu'elle pose sur son travail a tout à voir avec celui qu'elle pose sur celui des autres, classiques ou contemporains. C'est passionnant. Autant que de la lire se démener avec la critique exprimée sur ses propres livres, elle qui s'amuse à anticiper les réactions des uns et des autres à la parution de chaque nouveau titre avec une acuité qui n'exclut pas l'humour. Tantôt angoissée, puis sereine ou excitée, se répétant que de toute façon elle ne tiendra aucun compte de ce que l'on pense mais suivant de près l'évolution des ventes. Quelques récits, esquisses de paysages traversés lors de voyages en Italie, en Écosse ou dans la campagne anglaise lui servent à exercer sa plume, délier ses phrases. Ici le lecteur est aux premières loges, dans l'intimité de l'écrivain au travail. Un travail dont on mesure l'intensité, l'exigence, l'envie constante d'innovation, le besoin de fuir l'ennui ou le réchauffé. Une œuvre se construit sous nos yeux. Mais une œuvre indissociable de la femme qui questionne aussi son rôle dans une société bourgeoise qu'elle fuit, et découvre étonnée l'accès à la liberté que confère l'argent, concept avec lequel elle vit un rapport compliqué.
C'est un véritable cadeau que d'avoir ainsi accès au processus d'écriture (élargi) qui permet à la fois de rencontrer un écrivain brillant et d'éclairer ses œuvres. Cet ouvrage va retourner sur ma table de chevet mais cette fois pour un tout autre usage, plus consultatif grâce aux multiples post-it qui ornent à présent ses pages. Comme prévu, et encore plus depuis cette lecture, Virginia et moi ce n'est que le début.
"Journal d'un écrivain" - Virginia Woolf - 10/18 (Christian Bourgois éditeur) - 576 pages (traduit de l'anglais par Germaine Beaumont)