Mrs Dalloway - Virginia Woolf
J'ai toujours eu peur de Virginia Woolf. Du personnage comme de sa prose. Je m'en suis souvent approchée mais mon état d'esprit gorgé d'appréhension ne me facilitait pas la tâche. Ce n'est pas faute d'avoir autour de moi de sacrés admirateurs, dont une qui écrivit même une agréable biographie* de la dame et me la fit lire avec un certain plaisir. C'était il y a vingt ans, et je n'étais pas prête. Tant mieux, parce qu'il me semble que Mrs Dalloway n'est pas fait pour être lu trop jeune. Maintenant que j'y ai goûté - ça s'est fait tout seul une envie, une impulsion et hop ! avalé d'une traite - je mesure l'incroyable virtuosité et la folle modernité de ce texte à l'aune de tout ce que j'ai pu lire, classiques, modernes ou contemporains. Ce roman a presque cent ans, il a été publié en Angleterre en 1925 et il a clairement inspiré nombre d'écrivains, peut-être même de cinéastes. Car c'est le mouvement qui m'a d'abord impressionnée, cette façon d'enchaîner les scènes sans coupure, comme un long travelling qui suit le parcours de Clarissa Dalloway depuis le pas de sa porte, en route pour acheter des fleurs pour sa réception du soir, s'arrête au passage sur tel ou tel individu, s'introduit dans ses pensées sans jamais perdre le fil de cette journée rythmée par le carillon de Big Ben. Il ne se passe pas grand-chose, et pourtant il y a tout. Le temps qui passe, celui des heures qui s'enfuient ou que l'on occupe, celui des années sur lesquelles on se retourne un peu surpris de les compter si nombreuses. Le temps des regrets et surtout ces quelques rares et infimes secondes de plénitude. Dans un tourbillon subtilement maîtrisé, Virginia Woolf explore les états d'âme derrière les façades polies, fait se croiser les destins de façon presque imperceptible. Dans ces pages, la mort côtoie l'amour, la fragilité de chaque instant est palpable. Elle parvient à rendre parfaitement ces brusques accès d’exaltation qui surgissent comme des bouffées de bonheur ou au contraire de découragement. C'est un texte incroyablement dense, que l'on peut aussi décortiquer à l'aune de l'existence de Virginia Woolf (je me suis donc replongée dans le livre dont je parlais plus haut*) ce qui en donne une lecture encore plus fascinante. Voilà, j'ai enfin rencontré Mrs Dalloway, je ne vais pas m'arrêter là. Je crois que je suis prête pour le Journal de Virginia.
"Elle se sentait très jeune ; et en même temps, indiciblement âgée. Elle avait perpétuellement la sensation, tout en regardant les taxis, d'être en dehors, en dehors, très loin en mer et toute seule ; elle avait toujours le sentiment qu'il était très, très dangereux de vivre, ne serait-ce qu'un seul jour."
"Mrs Dalloway" - Virginia Woolf - Le Livre de Poche - 218 pages (Traduit de l'anglais par Pascale Michon, préface d'André Maurois)
*Virginia Woolf - Béatrice Mousli - Editions du Rocher / Les Infréquentables - 280 pages