Tomas Nevinson - Javier Marias
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Le hasard (ou presque) m'a fait enchaîner le dernier livre publié de John Le Carré et le dernier roman de Javier Marias, deux livres "testament" en quelque sorte, deux livres où se croisent des espions sur le retour qui ont du mal à croire encore à ce qu'ils font. Chez Marias, Tomas Nevinson est de plus anglo-espagnol... Mais la comparaison s'arrête au stade de clin d’œil, même si l'auteur, parfaitement familier des deux cultures a dû lire Le Carré à un moment ou un autre. Cela faisait un moment que je voulais revenir à Javier Marias après ma lecture enthousiaste de Comme les amours, l'occasion était belle...
Tomas Nevinson est a priori la suite de Berta Isla que je n'ai pas lu mais rien de gênant. La densité de l'ouvrage, le foisonnement et la précision des détails en font un roman à part entière. Dès les premières pages, le narrateur nous confie son dilemme. Il s'appelle Tomas Nevinson et, en 1997 alors qu'il pensait avoir quitté pour de bon les services secrets britanniques et tentait de reprendre le cours de sa vie madrilène auprès de sa femme et de ses enfants, voilà que ses anciens employeurs lui demandent d'effectuer une nouvelle mission. Il s'agit d'identifier, dans une petite ville du nord-ouest de l'Espagne et parmi trois femmes, celle qui serait une terroriste impliquée dans un terrible attentat survenu dix ans plus tôt. Identifier et éliminer. Lorsque je dis que la comparaison avec Le Carré n'est que superficielle, c'est que ce qui intéresse Marias, c'est le questionnement moral qui saisit son héros et englobe tous les protagonistes. "J'ai été élevé à l'ancienne et jamais je n'aurais cru que l'on m'ordonnerait un jour de tuer une femme" sont les premiers mots du roman dont les premières pages posent clairement l'énoncé du problème qui va être développé au cours des sept cents à venir. Peut-on s'arroger le droit de tuer même si l'on a toutes les bonnes raisons de le faire ? Le monde dans lequel est plongé Tomas Nevinson depuis deux décennies le confronte à ce qui se fait de pire sur la planète, entre membres de l'ETA et de l'IRA qui naviguent même parfois entre les deux organisations ; pas d'états d'âme de ce côté, et ses employeurs aimeraient qu'il en soit de même pour lui. Pas si simple...
A la suite de Tomas Nevinson le lecteur est embarqué dans un jeu de masques où l'on ne sait jamais qui est qui, et ce doute qui s'insinue partout provoque un climat de déséquilibre permanent. Les références historiques et littéraires foisonnent, Shakespeare s'en mêle, l'auteur lui-même joue avec la figure de l'écrivain s'amusant à créer ses personnages. L'ensemble est redoutablement intelligent, parfois ardu lors des quelques incursions géopolitiques lorsque comme moi on est moins au fait des événements côté Espagne, mais surtout très impressionnant par sa profondeur et sa maîtrise littéraire. Javier Marias est mort il y a quelques mois mais il nous a laissé matière à exciter nos petits neurones car ce genre de littérature n'est jamais périmé.
"Tomas Nevinson" - Javier Marias - Gallimard - 728 pages (traduit de l'espagnol par Marie-Odile Fortier-Masek)