Au bon vieux temps de Dieu - Sebastian Barry
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De Sebastian Barry j'ai toujours en tête et au cœur les inoubliables Thomas McNulty et John Cole du merveilleux Des jours sans fin ; vient désormais s'ajouter à ma collection le Tom Kettle qui habite ce nouveau et déchirant roman. J'ai bien envie de dire grand roman mais c'est encore trop commun, il faudrait lui trouver un qualificatif rien que pour lui plutôt que d'utiliser ceux qui ont déjà servi pour d'autres. En tout cas, si on me demande ces jours-ci ce qu'est un grand romancier j'inviterai à lire Sebastian Barry.
"Il prépara un thé si fort qu'il avait la couleur de l'enfer dans la tasse. Un thé de policier, ça vous coulait le cœur dans du goudron". Tom Kettle est un jeune retraité de la police de Dublin. Il coule depuis neuf mois des jours tranquilles dans une petite station balnéaire, ne recherchant pas spécialement la compagnie. Il faut dire qu'il a vu assez de choses au cours de sa carrière, on le comprend. Alors quand d'anciens collègues viennent frapper à sa porte pour solliciter son concours sur une affaire en lien avec l'un de ses anciens dossiers, Tom n'est pas très enthousiaste à l'idée de replonger dans ses souvenirs. D'autant que cela ravive des douleurs plus personnelles dont il est désormais seul à connaître la teneur et les détails. Le partage a cessé à la mort de sa femme, June plusieurs années auparavant ; ses deux enfants ont aussi disparu. Tom est seul avec son esprit dont les méandres se font chaque jour plus sinueux et opaques. June et lui avaient en commun des enfances maltraitées en orphelinat, de ces traumatismes que l'on porte toute une vie. Cette histoire de prêtre assassiné qui remonte à la surface provoque chez Tom un mini cataclysme d'émotions et de sensations qui nous sont livrées au rythme des soubresauts de son esprit, dans un formidable crescendo de tension dramatique.
La maîtrise de Sebastian Barry est saisissante, tant dans l'incarnation que dans la construction narrative. Le lecteur est invité dans l'esprit de Tom et épouse ses sautes d'humeur, ses égarements autant que ses efforts pour y voir clair. Les certitudes font place au doute, et inversement. Le trouble gagne tandis que l'on peine à discerner les vrais souvenirs mais qu'affleure la réalité de la souffrance de Tom. A travers cette histoire déchirante qui prend sa source dans les traumatismes d'un pays entier, l'auteur questionne l'essence d'une vie bâtie sur la souillure d'une enfance détruite, la difficulté de résilience dans une société incapable de réparer les torts causés. La solitude de chaque être humain face à lui-même.
J'ai absolument tout aimé dans ce roman, soufflée par la beauté et la force de l'écriture si enveloppante (merveilleusement rendue par la traductrice), impressionnée par l'orchestration du fil narratif. Sublime, bouleversant, inoubliable.
"Au bon vieux temps de Dieu" - Sebastian Barry - Joëlle Losfeld Editions - 252 pages (traduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia Devaux)