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Mauvais oeil - Etaf Rum
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Comme dans son précédent roman, Le silence d'Isra, Etaf Rum explore avec d'infinies précautions le parcours douloureux d'une femme qui apprend peu à peu à se libérer des liens invisibles mais solides qui l'entravent et l'assignent malgré elle. Yara a pourtant cru que son mariage et son installation en Caroline du Nord à distance de sa famille seraient le point de départ d'une existence différente, loin des préjugés et des stéréotypes culturels. Elle a réussi à terminer ses études supérieures, à trouver un travail à l'université et même quelques heures d'enseignement artistique en attendant, elle l'espère, une titularisation. Son union avec Fadi semble sans heurt, elle adore ses deux filles et met un point d'honneur à prouver à sa belle-mère promotrice d'un rôle plus traditionnel de l'épouse au foyer qu'elle peut tout mener de front. Pourtant, Yara traîne un mal-être au creux du ventre, enfoui sous un épais silence et qui se manifeste parfois par de soudaines explosions de colère. Un jour, un incident sur le campus, une altercation un peu vive avec une collègue va servir de déclic au travail que la jeune femme va devoir produire sur elle-même pour prendre conscience de tout ce qu'elle ne voulait pas voir.
L'autrice déroule avec pudeur et patience le cheminement de Yara aux prises avec l'enchevêtrement des fils d'un héritage familial dont l'origine prend sa source dans l'exil depuis la Palestine, et contrainte par un modèle de société patriarcale qui lui colle à la peau. Fortement marquée par l'histoire de ses parents et la tristesse évidente de sa mère, maintenue dans un environnement très communautaire, Yara est un personnage gorgé de silences, de remords et de peine contenus, rongé par la culpabilité. Ses efforts d'émancipation, malgré quelques acquis de haute lutte sont immédiatement contrés par les hommes qui l'entourent. Ce qui impacte grandement son estime de soi. Sa lumière, c'est l'art. Les toiles qu'elle peint la rattachent à son lointain pays d'origine, les photographies qu'elle cadre l'aident à suspendre le temps. Ce sera aussi une rencontre, une amitié inattendue, un regard bienveillant qui aidera la jeune femme à prendre confiance en elle et à s'affirmer. Et à changer ainsi le cours de la transmission aux filles de la famille.
Etaf Rum signe encore un très joli roman, qui aborde avec profondeur et finesse la complexité et la charge de l'identité culturelle, tout en offrant un portrait de femme sur le fil dont elle documente l'éclosion avec une précision émouvante. Une héroïne dont on ressent chaque frémissement et dont on accompagne la mue avec une sympathie grandissante au fil des pages.
"Mauvais œil" - Etaf Rum - Les Editions de l'Observatoire - 416 pages (traduit de l'anglais (EU) par Diniz Galhos.
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