Première personne du singulier - Patrice Franceschi
Quatre nouvelles, quatre pépites. Des textes ciselés dans une langue parfaite, portés par un certain classicisme, de l'élégance et du souffle. Et surtout un fil conducteur magnifique. Dans ces quatre nouvelles il est question de choix cornéliens, de ceux qui vous mettent face à vous-mêmes, à vos valeurs, à la quintessence de ce que vous êtes. De ces êtres confrontés au pire émane une lumière, une beauté qui laisse totalement ébloui.
Patrice Franceschi nous transporte sur l'océan déchaîné en compagnie de marins aguerris et pourtant démunis face à la puissance des éléments ; il nous catapulte en 1940, en pleine débâcle de l'armée française aux côtés d'un militaire inspiré par Victor Hugo ; il nous dépose sur une île déserte de Polynésie, sur les traces du seul rescapé d'un naufrage dont les causes restent inexpliquées. Enfin, il nous transperce le cœur, en 1943, sur un quai de gare où les files de déportés attendent le convoi qui les mènera vers l'inconnu dont ils perçoivent le danger.
Ah ce dernier texte. Le train de 6h15. Comment vous dire. Magnifique, poignant, terrible. Impossible de ne pas être marqué à vie par les figures de Madeleine et de Pierre-Joseph qui concentrent en quinze minutes (et 20 pages) toute la diversité des sentiments que l'on éprouve durant une vie entière. Dans un autre temps, à un autre moment leur coup de foudre aurait donné lieu à la création d'une charmante famille recomposée, avec des sourires, des hésitations aussi concernant les enfants, leur adaptation. Mais là, en 1943, chacun dans sa file avec ses deux enfants, l'urgence d'être ensemble face à la crainte du futur, et l'horrible dilemne auquel ils sont soudain confrontés...
Avant d'en arriver là, on aura admiré le courage du capitaine Flaherty, vieux loup qui a donné sa vie à la mer et lui sacrifiera tout. On aura vibré pour le sous-lieutenant Vernaud et sa farouche volonté de demeurer fidèle à ses idéaux lorsque le moment sera venu, les écrits de Victor Hugo dans la poche, "et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là". On aura percé le secret de Wells, l'idéaliste révolté par l'indifférence de son équipage, décidé à agir à sa façon, quitte à disparaître à jamais.
Ils font des choix quitte à basculer dans le drame ou dans la mort. Jamais ils n'abandonnent ce en quoi ils croient profondément, jamais ils ne renoncent. Des hommes comme ça, on aimerait en croiser plus souvent. Des textes comme ceux-ci également.
Les jurés Goncourt ne s'y sont pas trompés. Lauréat du Prix Goncourt de la Nouvelle en 2015, ce recueil est un petit bijou d'humanité, de respect pour le courage et la grandeur d'âme, un hommage aussi à tous ces personnages ignorés, perdus au milieu d'une tragédie qui les dépasse, broyés par l'histoire. Mais toujours droits, fiers et la tête haute.
A mettre entre toutes les mains, sans hésitation.
"Première personne du singulier" - Patrice Franceschi - Points - 164 pages