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Au milieu de l'été, un invincible hiver - Virginie Troussier

23 Janvier 2021 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Récits

Ce titre magnifique qui bouscule Camus avec grâce est le premier échantillon du talent de Virginie Troussier. Ce récit est celui d'une passionnée mais aussi d'une écrivaine qui transforme la lecture en une expérience sensorielle et émotionnelle rarement vécue. Capable de décrire et de transmettre la moindre sensation. Par le regard qu'elle pose sur les hommes. Par sa fine appréhension de l'univers dans lequel ils sont plongés. Par son envie de donner à ressentir plutôt que de raconter. Faut-il être amateur d'alpinisme pour savourer ce livre ? Je ne le suis pas et pourtant j'ai vibré, frissonné. Il suffit d'apprécier l'idée de l'exploit sportif, de la passion vécue pleinement. Et quand même d'aimer un peu la montagne. Mais le propre de l'écrivain est de parvenir à vous transporter dans des univers qui ne vous sont pas familiers. Et quand on a goûté à l'écriture de Virginie, comme ce fut mon cas la première fois avec Pendant que les champs brûlent, on la suit dans tous ses périples, fut-ce pour atteindre le sommet du Mont-Blanc.

En ce mois de juillet 1961, deux groupes d'alpinistes ont la même idée : profiter d'une fenêtre météo favorable pour s'attaquer à la dernière voie d'accès au Mont-Blanc encore vierge : le pilier central du Frêney, "la plus haute escalade d'Europe, le dernier rempart du mont Blanc, le "dernier problème des Alpes", qui excite l'élite de l'alpinisme européen". Le premier groupe est italien, mené par Walter Bonatti qui connait le massif par cœur pour y avoir ouvert des dizaines de voies et tracé maints itinéraires. Il est accompagné de Roberto Gallieni (son client) et Andrea Oggioni, compagnon de nombreuses cordées. Le second groupe est français, mené par le chevronné Pierre Mazeaud entouré de Pierre Kohlmann, Antoine Vieille et Robert Guillaume. Tous sont expérimentés, organisés, prévoyants. Les deux groupes se rencontrent au refuge de la Fourche et décident de coopérer pour tenter d'accomplir cette première. La photo du bandeau de couverture montre les quatre français, la veille du départ, heureux, confiants. Trois d'entre eux ne reviendront pas. Au moment d'attaquer l'escalade de la dernière partie du pilier, les sept alpinistes vont être victimes d'un orage dantesque, pris au piège de ce pilier qui est "le plus bel arc-boutant du "Toit de l'Europe", la dernière verticale du ciel des Alpes. Il est coiffé par la Chandelle, un obélisque massif de granit rouge : un paratonnerre. Quand l'orage éclate sur le versant italien du Mont-Blanc, la foudre frappe ici, fatalement". Ce n'est pas pour rien que le pilier central est "l'obstacle ultime".

Jour après jour, nuit après nuit, Virginie Troussier nous fait vivre d'abord la préparation, la beauté de l'avancée dans des paysages grandioses, l'allégresse de la montée vers l'exploit, puis l'enfer de ces hommes, entraînés et aguerris mais confrontés à une violence des éléments totalement imprévue. Il est en principe exclu qu'à cette période de l'année un orage dure plus d'une journée. Et pourtant. Le vent glacial qui fouette les corps pendant des heures interminables, les flocons qui recouvrent tout et noient les repères, la foudre qui fera griller l'appareil auditif de l'un des hommes, les organismes soumis à une épreuve que le commun des mortels ne supporterait pas plus de quelques minutes. Au milieu émerge la figure de Walter Bonatti, d'une constitution et d'une résistance hors normes, travaillée pendant des décennies. Un colosse qui jette toutes ses forces dans la bataille et tente jusqu'au bout de ramener tous ses compagnons vivants. Puis vivra le restant de ses jours avec le poids des quatre disparus.

Dans ces pages, la montagne est belle et cruelle, les hommes qui s'y aventurent le font avec une humilité qui ne suffit pas toujours à les faire revenir. Et ceux qui reviennent tels Mazeaud et Bonetti finissent par comprendre que "seuls les lieux restent à la fin, à la fin de tout, ils continuent, ils persévèrent avec les âmes de ceux qui les ont traversés, ceux qui y sont restés". La parole est aux vivants, encore emplis du souvenir de ceux qui ne sont pas rentrés. Et les pages qui s'inspirent de l'entretien entre l'auteure et Pierre Mazeaud, toujours en vie, sont sublimes dans ce qu'elles disent des joies et des chagrins mêlés, emprisonnés dans un même souvenir, celui de l'amitié et de ces "heures passées à tutoyer la vérité d'un être, d'un paysage".

Ce que nous raconte Virginie Troussier, c'est la fulgurante beauté d'une aventure humaine. Et c'est à pleurer d'émotion.

"Au milieu de l'été, un invincible hiver" - Virginie Troussier - Guérin - 120 pages

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G
Livre magnifique, écriture fine et juste. Bravobelle découverte pour moi ! à lire même pour les nons initiés à la montagne.
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N
En effet, il n'est pas nécessaire d'être initié à la montagne, juste de savourer la merveilleuse écriture de Virginie Troussier.
P
Voilà un roman qui a tout pour me plaire ! Illico sur ma liste...
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N
Alors c'est plutôt un récit, mais sous la plume de Virginie ça se lit comme un très bon roman :-)
D
Bon, je ne doute pas de la qualité de ce texte. Cependant, je t'avoue que je déteste la montagne, la neige, le froid, l'altitude qui m'oppresse et tout ce qui s'ensuit. Pas trop pour moi, du coup...
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D
:-D
N
Mince... effectivement, il ne faudrait pas que tu nous fasses un malaise en pleine lecture ;-)
K
Ton enthousiasme pour ce livre me le fait noter immédiatement.
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N
Je suis très sensible à la plume de Virginie Troussier, à son univers, celui du sport et à l'atmosphère de passion et de liberté que ses livres véhiculent.