Les ciels furieux - Angélique Villeneuve
Il n'y a que l'écriture douce et patiente d'Angélique Villeneuve pour m'entraîner dans la peau d'une gamine de huit ans et m'obliger à y rester. Pas n'importe quelle gamine. Henni pourrait avoir été chantée par J.J. Goldman à quelques décennies près, "une petite fille sans histoire et très sage" dans un petit village d'Europe centrale au début du 20ème siècle. Une vie rude et simple rythmée par les tâches à accomplir dans le foyer, jamais bien loin de sa grande sœur de onze ans, Zelda ni du dernier bébé, ce petit frère dont elle est assez grande à présent pour être chargée. L'univers de Henni c'est la maison, ceux qui l'habitent et auxquels elle a attribué chacun un de ses doigts pour les avoir toujours avec elle, l'apprentissage de la couture, les jeux dans la forêt et le long de la rivière. Pourtant, cet univers vole soudainement en éclats lorsque des hommes déchaînés surgissent un soir et laissent libre cours à un déferlement de violence. Henni et Zelda parviennent à fuir et trouvent refuge dans une grange avant d'être séparées. Dans l'esprit de la petite se mêlent peur, incompréhension et l'espoir farouche de parvenir à retrouver Zelda dans un environnement devenu hostile. Un environnement que nous découvrons à sa hauteur, par ses yeux et tous ses sens, par les sentiments qui la traversent et traduisent le plus profond désarroi autant que le courage décuplé par le processus de protection que met en place son cerveau pour l'aider à avancer. La violence est latente, palpable mais comme filtrée par l'esprit de Henni, consciente et déterminée à chasser l'horreur. C'est la grande réussite de l'autrice, dire l'indicible sans gros plan ni surenchère, tout en suggestion et images qui font sens. L'instinct prend le dessus et maintient le lecteur à fleur de peau au cours de ces quelques heures dans la vie d'une petite fille projetée dans l'inconnu. La sensibilité et la pudeur d'Angélique Villeneuve, la grâce de son écriture s'y expriment majestueusement jusqu'à une fin de toute beauté. Difficile de ne pas être bouleversé. Impossible d'oublier Zelda, les bébés ni surtout la lumineuse Henni, "sa vie c'était douceur, rêves et nuages blancs / mais d'autres gens en avaient décidé autrement"*.
"Les ciels furieux" - Angélique Villeneuve - Le passage - 110 pages
* je sais bien que dans la chanson "Comme toi" la petite fille s'appelait Sarah, qu'il s'agit d'une autre époque et d'un autre destin mais on parle bien de la même chose.