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Les grandes patries étranges - Guillaume Sire

5 Septembre 2024 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

J'avais quitté Guillaume Sire sur une terrasse ensoleillée du Mans où, en marge du salon du livre, nous avions passé un bon moment à parler de ses livres (dont Les Contreforts, son actualité de l'époque) et de ceux des autres. Je le retrouve trois ans après avec ce nouveau roman, confirmation de cette liberté nouvelle qu'il m'avait confié avoir ressentie après l'écriture d' Avant la longue flamme rouge.

L'épique pointait déjà son nez dans Les Contreforts, il s'affirme ici avec une joie et une truculence assumées. Des lecteurs plus aguerris se chargeront de repérer et d'interpréter les multiples références religieuses qui parsèment le texte, cela peut être aussi amusant que chargé de sens. Moi j'ai vécu cette Odyssée, cette traversée du 20ème siècle, de ses guerres et de ses atrocités comme une célébration des sens, dans la suite logique des prémices entrevus dans Les Contreforts. Normal avec un héros dont l'hypersensibilité peut aller jusqu'à la prédiction ; ses sens développés à l'extrême influent sur son existence autant que sa lecture romantique du Chevalier à la rose dans l'enfance. Joseph n'a pas dix ans lorsqu'il tombe amoureux d'Anima au premier regard. Il le restera au-delà de la brièveté de la vie terrestre et des influences maléfiques qui s'exercent sur les pauvres mortels que nous sommes. Anima est juive et Joseph a senti très tôt, au plus profond de sa chair qu'elle était en danger sans imaginer alors quelles forces seraient à l’œuvre loin de sa patrie toulousaine, plus au nord, de l'autre côté de la frontière. Amour absolu, maladroit, construit sur les ruines d'une perte immense et propulsé par un combat qui le dépasse.

Porté par un souffle épique, ce roman l'est surtout par une écriture impressionnante de précision, d'élégance et d'inventivité, son bouquet d'images saisissantes, ses évocations sensorielles à couper le souffle - j'ai eu l'impression de sentir les encres d'imprimerie, le goût de la rouille ou les effluves des fromages - ses incursions musicales ou ses savoureuses analyses éditoriales. Je devrais aussi dire un mot des personnages, truculents, engagés ou flamboyants jusqu'au surprenant Lamour, désarçonnant dans la symbolique. Chez Guillaume Sire le bordel est surnommé la chapelle et "ce qui s'y passe est religieux, croyez-moi" affirme sa tenancière, un sacré numéro.

Mais rien n'est gratuit, tout est parfaitement dosé, agencé sur un chemin discrètement nourri de questionnements philosophiques sous le haut parrainage de Benjamin Fondane, écrivain et philosophe juif né en Roumanie, naturalisé français et mort à Auschwitz. Les mots qui composent le titre sont extraits de l'un de ses poèmes, sur lequel je me suis précipitée. La matière est si riche que je rêve d'une nouvelle pause café pour approfondir avec l'auteur dont je ne me lasse pas de voir évoluer la plume et le panache au fil des livres.

"Les grandes patries étranges" - Guillaume Sire - Calmann Levy - 352 pages 

Pour lire ou relire mon entretien avec Guillaume Sire c'est ici

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D
Bon, avec tes chroniques, je vais bien finir par le lire !
Répondre
N
Je ne voudrais pas te forcer...