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La saison des feux - Celeste Ng

26 Mai 2018 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Comme dans son très prometteur premier roman, Tout ce qu'on ne s'est jamais dit, Celeste Ng commence par la fin. Le moment où le drame est survenu. Cette fois, une maison brûle, dans l'un de ces endroits a priori préservés inventés par les américains. A Shaker Heights, une banlieue de Cleveland, une communauté où tout est normé, contraint afin que chacun vive en paix et en harmonie avec ses voisins. Pourtant, la maison de la famille Richardson est en train de brûler et il semble que ce soit Izzy, la benjamine parmi quatre enfants qui ait allumé l'incendie. Que s'est-il donc passé derrière les façades proprettes de ces allées où rien ne dépasse ?

Décidément Celeste Ng se plaît à explorer les méandres de la psychologie familiale et à interroger les contraintes qui pèsent sur chacun des membres d'une même cellule. Cette fois c'est la famille Richardson qui lui sert de cobaye, dans cette banlieue qui ressemble à la Wisteria Lane de Desperate Housewives. Elena Richardson est une femme qui a tout fait comme il faut. Originaire de Shaker Heights, elle a convaincu son mari d'y fonder leur foyer où sont nés à intervalles réguliers leurs quatre enfants désormais adolescents. Elena travaille comme journaliste pour la gazette locale, ayant remisé toute velléité de progresser par crainte de devoir quitter sa banlieue. Elena est contente d'elle et se trouve très généreuse d'accepter de louer à bas prix la petite maison héritée de ses parents. Après tout, elle n'a pas besoin de cet argent pour vivre et si on peut aider... Par exemple cette Mia, seule avec sa fille Pearl. Même si Elena est troublée par la liberté que semble afficher Mia, sa curiosité l'emporte. Car Mia est tout le contraire d'Elena. Bohême, elle ne s'encombre d'aucune possession, change de région au gré de son inspiration. Photographe, artiste, libre, sans attache hormis sa fille qui s'est plus ou moins habituée à ces déplacements incessants. Mais voilà. Pearl prend goût à son environnement, noue quelques liens d'amitié notamment avec les enfants Richardson, tandis qu'Izzy, la fille d'Elena se prend d'admiration pour Mia et pour ce qu'elle incarne. De plus en plus intriguée, voire jalouse, Elena entreprend d'enquêter sur le passé de Mia que celle-ci semble protéger avec soin...

"Pour un parent, un enfant n'est pas une simple personne : c'est un endroit, une sorte de Narnia, un lieu vaste et éternel où coexistent le présent qu'on vit, le passé dont on se souvient et l'avenir qu'on espère".

L'enfant. La question centrale de ce livre. L'enfant que l'on désire avoir, que l'on s'inquiète de perdre, que l'on veut protéger à tout prix. Celui que l'on veut élever à son image ou, au contraire auquel on souhaite transmettre ses idéaux de liberté. Le cœur du noyau familial auquel le moindre déséquilibre peut être fatal. L'enfant sur lequel pèsent toutes les névroses de ses géniteurs. Elena et Mia symbolisent les deux excès antagonistes. D'un côté, l'enracinement, le modèle imposé, l'appartenance à une caste réelle ou fantasmée. De l'autre, la fuite, le rejet des attaches, la légèreté et le refus des règles imposées. Les deux adolescentes rêvent forcément de l'autre possible qui se révèle : s'installer enfin pour Pearl, avoir des copains, un point d'ancrage tandis que pour Izzy, le mode de vie de Mia ouvre soudain une fenêtre sur l'ailleurs.

Tout le talent de Celeste Ng réside dans la finesse avec laquelle elle décortique les états d'esprit des uns et des autres, et montre l'engrenage des petits riens qui conduit au drame. Elle est au plus proche des sentiments humains et l'on se dit, en progressant dans la lecture qu'elles sont nombreuses ces familles qui enferment et que les romanciers n'ont pas fini d'y puiser leur matière. Celeste Ng en tout cas confirme toutes les promesses entrevues dans son premier roman.

"L'une avait suivi les règles, l'autre non. Mais le problème avec les règles, songea-t-il, c'était qu'elles supposaient une bonne et une mauvaise manière de faire les choses. Alors qu'en fait, la plupart du temps, il y avait simplement des manières différentes, dont aucune n'était totalement mauvaise ou totalement bonne, et il n'y avait rien pour vous indiquer de quel côté de la ligne de démarcation vous vous trouviez".

"La Saison des feux" - Celeste Ng - Sonatine - 380 pages (traduit de l'anglais par Fabrice Pointreau)

Un immense merci aux Editions Sonatine et au Picabo River Book Club pour cette lecture privilégiée.

 

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M
J'ai bien aimé aussi mais je regrette qu'elle ne se soit pas plus renouvelée par rapport à son premier roman. J'ai eu l'impression, peu ou prou, de lire la même chose, même si cela reste intéressant et que l'auteure le fait très bien.
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M
Voilà c'est ça, c'est l'effet de surprise qui n'a pas opéré.
N
Effectivement c'est assez proche du précédent mais elle élargit tout de même son champ d'action... par contre l'effet de surprise ne joue plus d'où je pense cette infime sensation ...
Z
Il faudrait que je découvre son premier livre... Je viens de les retenir à la bib
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N
Super ! Tu vas voir, c'est impressionnant...
D
Effectivement, on sent une réelle continuité avec son précédent roman. Je l'avais d'ailleurs apprécié. Mais peut-être pas au point de poursuivre, on verra...
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N
On est dans les mêmes thèmes, oui. Avec des ressorts différents mais enfin... J'aimerais bien croiser l'auteure et lui demander à quel point son expérience personnelle influence cette obsession des rapports familiaux (elle est assez jeune alors cette plongée dans la psychologie familiale est assez impressionnante)
E
Je suis vraiment impatiente de le lire.
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N
Si le dieu des facteurs t'entend... :-)
M
C'est un auteur dont j'ai beaucoup entendu parler mais que je n'ai pas encore lu. Merci de me donner envie
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N
Son premier roman existe en poche, il ferait une excellente lecture pour cet été :-)
Z
J'avais vraiment adoré son premier roman. J'ai celui-ci dans ma PAL mais je craignais d'être déçue. J'ai lu ton billet en diagonale mais je suis contente d'apprendre que Celeste Ng a réussi à réitérer la finesse de son livre précédant.
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N
On a toujours une appréhension quand le premier a été une telle révélation. Elle n'a rien perdu, je trouve qu'elle ose s'aventurer un peu plus dans l'exploration des sentiments... Bref, même si l'effet de surprise ne joue plus, ça marche !
M
Un livre qui me tente bien! Merci pour cette présentation. A suivre, peut-être ...
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N
A suivre alors :-)