Simple - Julie Estève

Bon, ce deuxième roman de Julie Estève je l'attendais avec une rare impatience et une belle curiosité. Depuis ma rencontre percutante avec Lola, l'héroïne de Moro-sphinx, son premier roman, un vrai choc de lecture qui possédait tous les ingrédients laissant penser qu'on découvrait là une sacrée écrivaine. Mais, le passage du premier roman à la suite n'est pas toujours évident alors, à l'impatience s'ajoute une petite dose d'appréhension, c'est normal.
Elle disparait vite, cette appréhension. Dès les premiers mots en fait : "Antoine Orsini est mort et le soleil n'y peut rien". Reste à savoir qui était Antoine Orsini, parce que pour le reste "On ne dira pas ici comment il est mort. Ce qui l'a tué. On écoutera, dans les odeurs de maquis, de marjolaine sauvage, la voix d'un homme qui pour certains ou le reste du monde, n'en était pas tout à fait un". Ça y est ? Vous êtes parti chercher le livre ?... Pas mal comme premières pages, hein ? De toute façon je ne vous en raconterai pas plus sur l'histoire d'Antoine. Je vous dirai juste que l'action se situe en Corse, qu'Antoine est surnommé le baoul du village (une sorte d'idiot en patois), que sa meilleure amie et interlocutrice privilégiée est une chaise qu'il trimballe partout et qu'il ne jure que par son copain Magic. Sachez également qu'Antoine aimait beaucoup Florence Biancarelli et que lorsque celle-ci a été retrouvée morte, forcément, les soupçons se sont tournés vers lui. Avec tout ça, rassurez-vous, vous ne savez rien.
Julie Estève crée ici un héros inoubliable en parvenant à nous le rendre proche, à nous faire entrer dans sa tête sans que jamais le trait n'ait l'air forcé ou incongru. C'est du grand art. On suit l'histoire par les yeux et la voix d'Antoine en même temps que l'on découvre la perception et les réactions extérieures. Cette mise en parallèle des "normaux" et du baoul, c'est aussi l'occasion de renverser les points de vue entre innocents et coupables. Elle réussit à mixer fraicheur et perversion dans l'analyse des sentiments, servie en cela par l'ambiance particulière de ce territoire qui est ici plus qu'un élément contextuel, presque un personnage à part entière. Ce qu'elle fait a l'air simple alors que c'est d'une complexité incroyable. Le cheminement auprès d'Antoine a quelque chose de captivant et l'intrigue est aussi prenante qu'un polar.
En seulement deux romans, Julie Estève nous colle deux sacrés personnages dans la tête, tellement différents l'un de l'autre et pourtant tout aussi marquants. Il y a une force dans son univers, entrevue dans Moro-sphinx et confirmée ici, une forme d'audace aussi à créer hors des sentiers (re)battus en compagnie de personnalités qui interpellent par leur singularité. Tous ceux qui ont lu Moro-sphinx sont dans mon cas et vont se précipiter sur Simple. Pour les autres, n'attendez surtout pas plus longtemps pour faire connaissance avec cette plume exceptionnelle.
"Simple" - Julie Estève - Stock - 206 pages