Ör - Audur Ava Olafsdottir
Avec Audur Ava Olafsdottir, j'en étais à un partout. Un roman beaucoup aimé, Rosa Candida dont j'avais apprécié la poésie et un autre qui m'avait laissée perplexe, L'Exception, lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de Elle 2015. Avec Ör, l'avantage est désormais aux "j'aime" !
J'avoue que le personnage de Jonas m'a vraiment touchée, voire enchantée. Oui, malgré son mal-être, son état dépressif et son envie affichée de mourir avec cette impression terrible, à 49 ans de ne plus rien attendre de bon ou même d'étonnant de la vie. "Y a-t-il quelque chose qui puisse encore me surprendre dans la vie ? La méchanceté des hommes ? Non, ma connaissance dans ce domaine est complète. La bonté des hommes ? Non, j'ai rencontré suffisamment de bonnes personnes pour y croire" (et je vous conseille la suite de cette sublime tirade de l'homme désespéré...). Bref. Jonas, récemment divorcé de Güdrun qui a jugé utile de lui révéler à cette occasion qu'il n'est pas le père de leur fille de 26 ans, ne trouve ni auprès de sa mère à la mémoire défaillante, ni auprès de son pote Svanur, des raisons de continuer. Il décide alors, pour préserver ses proches de programmer son suicide dans un pays étranger et choisit pour cela un pays en ruine, détruit par des années de guerre et tout juste rouvert aux touristes (qui ne se bousculent pas, on s'en doute).
Il y a une certaine grâce dans ce personnage et sa façon d'être au monde. Jonas s'est laissé porter toute sa vie par le courant et guider par les femmes qui l'entourent, ces mêmes femmes qui se dérobent à lui chacune à sa manière. En quittant sa terre et son ancrage, il va voir ses repères totalement bouleversés par un environnement et des rencontres dont il n'avait pas anticipé les effets. L'auteure installe ici une atmosphère qui mêle tragique et fantaisie, avec un savoir-faire incontestable. Et l'on suit les avancées de Jonas qui finit par prendre ses habitudes dans cet improbable hôtel d'un bord de mer encore truffé de champs de mines, où tout est à reconstruire et où il se révèle particulièrement utile avec ses talents de bricoleur. Reconstruire les murs et les routes. Reconstruire l'espoir. Réparer les cœurs, peut-être.
"Est ce que tu comptes rafistoler tout le pays ? Avec ta petite perceuse et ton rouleau de scotch ? Tu crois vraiment pouvoir recoller un monde en miettes ?"
Sous une apparente légèreté, ce roman questionne l'essence même de l'existence, ce sens que chacun lui cherche avec ses pauvres moyens. La touche de fantaisie qui éclaire l'ensemble empêche le propos de sombrer dans la démonstration moraliste et fait au contraire jaillir l'émotion. Aucun jugement n'est porté sur la source d'un mal-être qui peut apparaître futile (une sorte de crise de la cinquantaine ?) au regard des drames d'un pays en ruine. Non, chaque personnage est traité dans son entièreté, sa pleine humanité faite de doutes, de failles, de candeur, d'espoir et de désespoir. Il n'est pas tant question de relativité ici que d'appréhension de l'autre, pour mieux s'accepter soi-même.
Tout ceci fait de Ör (qui signifie "cicatrices" en islandais) un joli moment de lecture, un peu hors du temps, qui réussit à sublimer le malheur pour convoquer le bonheur. Le petit. Celui de tous les jours.
"Ör" - Audur Ava Olafsdottir - Zulma - 240 pages (traduit de l'islandais par Catherine Eyjolfsson)