Lire Lolita à Téhéran - Azar Nafisi
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Lire Azar Nafisi dans un monde où toutes les libertés que nous pensions définitivement acquises sont menacées est à la fois un baume pour le cœur et un stimulant pour l'esprit. Surtout pour les amoureux des livres, alors qu'un peu partout les arts et la littérature sont l'objet de censure, de bannissement, ou tout au mieux de désengagement. Non, lire n'est pas un vulgaire loisir mais bien un acte essentiel pour se construire. Et parfois un refuge salutaire.
Ce récit met l'accent sur les deux dernières années d'Azar Nafisi à Téhéran avant qu'elle ne décide de s'installer à Washington en 1997, mais balaye dix-sept années de sa vie au cœur d'une cité aux prises avec des contraintes de plus en plus pesantes. En 1995, lasse de se battre contre l'administration, elle a fini par quitter l'université où elle enseignait la littérature et a décidé d'organiser un cours privé et clandestin à son domicile avec sept de ses étudiantes de tous âges et de toutes classes sociales. A travers ce texte, l'autrice rassemble souvenirs et réflexions autour de ce que peut apporter la fiction dans la compréhension du monde mais aussi dans l'appréhension de situations et dilemmes plus quotidiens. Elle revient sur la vie à Téhéran, les pressions du régime, la réalité des contraintes dans l'enseignement, les discussions politiques lors des grandes étapes de l'installation des différents gouvernements ou de la guerre avec l'Irak. Elle aborde les situations différentes de ses étudiantes dont certaines ont connu la prison, leurs aspirations et leurs résignations. Mais surtout, elle structure son récit autour de quatre œuvres et/ou auteurs et établit des liens avec des situations subies ou des questionnements qui font écho à la condition des iraniennes sous ce régime. Lire Lolita, Gatsby, Washington square ou Orgueil et préjugés prend alors de nouvelles couleurs et devient surtout un point d'appui au développement de l'esprit par l'empathie et la découverte de l'altérité.
L'ensemble est passionnant dans ce qu'il révèle des micro-résistances d'une société, comme ces parenthèses de débats autour des livres. Le récit laisse parfois passer une pointe d'humour libérateur face à l'absurdité de certaines positions officielles... mais le rire vire au jaune en pensant que cette absurdité est désormais à l’œuvre là où on ne l'attendait pas. Et puis, il y a les discussions éclairées avec un magnifique personnage que l'autrice nomme le magicien, un homme qui a choisi sa forme de résistance par l'esprit, un homme qui a peut-être existé et avec lequel on aimerait s'attabler autour d'un café pour parler de bonheur, de littérature et de liberté.
Ce livre est un cadeau pour l'esprit, une déclaration d'amour aux livres et une invitation à les chérir, à les (re)lire, à en défendre le libre accès. Avec Lire dangereusement il constitue un diptyque que je suis heureuse d'avoir à mes côtés. J'ai hâte de découvrir l'adaptation qui doit sortir au cinéma fin mars. En attendant, je retourne à mes lectures.
"Lire Lolita à Téhéran" - Azar Nafisi - Zulma - 430 pages (traduit de l'anglais par Marie-Hélène Dumas)