Tous les trains du monde - Virginie Delache

17 Avril 2025 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Récits

"Autant que l'immensité de l'espace, comment appréhender celle de la durée ?"

Cette phrase planquée au cœur de l'un des chapitres de ce livre me semble coller parfaitement au sentiment qui m'a traversée tout au long de ma lecture. Et qui, j'ose l'espérer, reflète l'intention de l'autrice. On sent dans son récit la volonté d'appréhender le voyage dans toutes ses dimensions - physique, spirituelle - à travers le miroir qu'il tend à l'individu en mouvement, celui qui s'abandonne à l'observation des autres, de l'ailleurs, et se charge de questions plutôt que de réponses.

Il y a dans ces traversées ferroviaires un rapport au temps qui nous est devenu insaisissable depuis que nous nous rendons à toute vitesse d'un point à un autre, souvent par les airs. "Qui prend encore le train aux États-Unis ?" interroge Virginie Delache dans son wagon à moitié vide. Pour elle, c'est depuis l'enfance le moyen privilégié de déplacement, et les observations qu'elle en tire mêlent de façon assez poétique les strates temporelles pour chacun des trajets parcourus plusieurs fois, révélant ainsi l'évolution du monde autant que son propre parcours intime. Oh, à peine, par petites touches discrètes, pudiques, juste ce qu'il faut pour que le lecteur perçoive qu'il est aussi question du grand voyage de la vie. Fait de départs, de valises, de contretemps, d'obstacles et d'étapes plus ou moins aventureuses. A travers ces récits qui nous déplacent en Inde, aux États-Unis, en Égypte, en Chine, en Italie, au Japon et en Sibérie affleure l'influence des écrivains. Ces passeurs d'histoires qui donnent le goût de l'ailleurs et auxquels l'autrice emprunte les mots posés en exergue de chaque chapitre, avant de les regrouper en une "petite bibliothèque de voyage" en fin de volume dont on apprécie la qualité, à la fois hommage, références et invitation à poursuivre l'aventure en bonne compagnie. Pourquoi pas en train ?

J'ai pris un réel plaisir à cette lecture, autant pour le voyage que pour la qualité du texte ciselé avec délicatesse, dans un souci constant du lecteur. Le bel équilibre de la composition entre observations, rêveries, anecdotes, souvenirs, clins d’œil littéraires et soupçon d'autodérision y est sans doute pour beaucoup. Tout comme le travail d'édition d'Akinomé que je découvre à cette occasion et dont j'admire l'objet à la belle couverture inspirante. Cohérence parfaite entre le fond et la forme. Une invitation au voyage, à se réapproprier le temps long et à ouvrir grand les yeux sur l'ailleurs.

Laissons le dernier mot à Agatha Christie dont la citation propice à réflexion ouvre le chapitre sur l’Égypte : "Rien ne m'a autant déçue dans la vie que l'arrivée de l'aéroplane comme moyen de transport régulier"... Voilà qui ferait un excellent sujet de philo.

"Tous les trains du monde" - Virginie Delache - Akinomé - 152 pages

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