Les preuves de mon innocence - Jonathan Coe
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Que c'est bon la fiction à ce niveau ! Ce roman est d'une délicieuse virtuosité et d'une flegmatique impertinence dans l'expression de la colère. Jonathan Coe est en pleine forme. Il se joue de nous, de ses personnages et de l'Angleterre dont il ne cesse d'explorer les maux à l'aune de la montée des ultra-conservateurs. Mais il le fait avec l'élégance de celui qui tient à divertir et à ne surtout pas ennuyer. Qu'il se rassure, c'est amplement réussi.
Je pourrais m'en tenir là. Je devrais. A quoi bon démonter les couches de sa construction subtile qui va jusqu'à adopter les codes de trois genres littéraires - cosy crime, dark academia et autofiction - pour mieux fouiller les petits secrets de l'Angleterre. Comme le dit son héros Christopher Swann, journaliste spécialiste de l'évolution et des mutations du conservatisme pur et dur qu'il ausculte sur son blog depuis des décennies, "le meurtre est profondément enraciné dans la culture britannique". Jusqu'à influencer la littérature ? Sans aucun doute. Il y aura donc un meurtre à élucider, une enquêtrice digne de celles créées par les grandes reines du crime anglaises et une apprentie écrivaine en pleine expérimentation. Des investigations autour d'un mystérieux groupe et de leurs réunions secrètes à Cambridge dans les années 80, d'un auteur frustré et de son dernier manuscrit testamentaire. Jonathan Coe situe son intrigue au moment du très bref mandat de Liz Truss en tant que Première Ministre, extrêmement éclairant d'un point de vue politique et idéologique. Il en profite également pour saluer Elizabeth II dont le décès intervient à cette période et vient bousculer l'intrigue. Séquence nostalgie. Après quoi le jeu reprend de plus belle.
Les fidèles lecteurs de Jonathan Coe ne seront pas étonnés de voir apparaître le patronyme Winshaw dans cette exploration des milieux les plus conservateurs surtout préoccupés par leur argent. Ils ne pourront retenir un sourire à l'évocation d'un certain Thomas Cope qui aurait connu un succès d'estime avec un roman intitulé "Succession à la britannique"... Ces clins d’œil viennent animer un jeu permanent entre fausse réalité et vraie fiction qui fait le sel de ce roman et trouve une justification troublante par son ancrage dans une actualité qui brouille sans cesse le rapport à la vérité. Avec malice et habileté, l'auteur place le lecteur dans la situation de se demander sans cesse ce qu'il est en train de lire - fiction ? récit ? roman dans le roman ? - sans jamais nuire au rythme d'une narration captivante jusqu'à la dernière ligne.
Cela fait plus de 30 ans que Jonathan Coe est l'un de mes auteurs préférés et il parvient encore à me bluffer. J'ai le projet de relire ses livres un jour, dans l'ordre depuis Testament à l'anglaise, pour ce que cela raconte de l'Angleterre et du monde et pour faire honneur à cette infatigable quête de l'écrivain qui cherche à fixer, à creuser et à témoigner puisque "... tel est le pouvoir de l'écrit. Grâce à lui, rien ne s'oublie jamais. Rien ne se perd. La littérature interrompt le cours du temps. C'est la seule raison de s'y adonner au bout du compte. Vous ne croyez pas ?" Yes, indeed !
"Les preuves de mon innocence" - Jonathan Coe - Gallimard - 480 pages (traduit de l'anglais par Marguerite Capelle)
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