Le syndrome de l'Orangerie - Grégoire Bouillier
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Immergée à la suite du détective Bmore (double ou alibi de l'auteur, déjà utilisé si j'ai bien compris) (c'est bien pratique), j'ai beaucoup pensé aux dernières expos visitées et à tous ces gens qui passent trois secondes devant chaque toile, le temps d'une photo (j'y étais) (j'avoue, je l'ai fait aussi). Ils ne savent pas ce qu'ils ratent en ne prenant pas le temps de ressentir ce qu'une œuvre porte en elle, ce qu'elle a à transmettre (encore faudrait-il pouvoir le faire dans la foule agglutinée, ça devient du luxe de se retrouver seul devant une toile) (ça m'est arrivé, il y a fort longtemps, mais c'est une autre histoire). Comme ces Nymphéas, archi connus qui provoquent ici un drôle de malaise à celui qui décide d'en élucider le mystère et les raisons. Un simple bassin fleuri ? Que nenni.
La démonstration qui suit pousse très loin l'exploration de la vie de Monet et les recoupements et autres associations d'idées en tout genre ; et ça se tient. Même si l'auteur tente parfois de réfréner ses ardeurs : "Okay, j'imagine, j'affabule, je donne aux Nymphéas les contours de mon propre chaos, y infuse mes propres hallucinations..." ; peut-être, mais ça se tient. L'implication acharnée de l'enquêteur accroche même des sourires à la mine perplexe du lecteur. Il y a quelque chose de brillant dans la manière de décortiquer le potentiel d'une œuvre d'art face à la superficialité de nos regards souvent distraits, pris par le temps. De creuser ce mélange de vie et de mort né de l'expérience personnelle de l'artiste et forcément présent dans son travail. L'expérience devient intense lorsqu'elle offre d'explorer la porosité du beau et du laid à travers le parallèle osé entre les visites des jardins de Giverny et du camp d'Auschwitz-Birkenau à quelques jours d'intervalle ; osé mais convaincant car le malaise qui en découle n'a rien de gratuit, dit beaucoup de notre société. Ce fut le moment fort de ma lecture.
Pendant 350 pages j'ai marché. Je savais à quoi m'attendre côté digressions et bien que plutôt calée sur la vie et l’œuvre de Monet j'ai suivi les déductions du narrateur avec un certain amusement. Et puis tout d'un coup la lassitude m'est tombée dessus. Trop de parenthèses. Trop de points d'exclamations. Trop de points d'interrogation. Trop de petites bêtes fouillées à l'os pour faire le lien. Tout ceci finissait par ressembler à du stand-up. OK pour que l'artiste se peigne aussi lui-même (dixit Francis Bacon) mais lorsqu'il ramène trop sa fraise moi ça me fait sortir du jeu. La forme a fini par engloutir le fond qui avait pourtant bien capté mon attention pendant les deux tiers du livre. L'auteur est d'ailleurs conscient du risque même s'il avoue être incapable de se corriger.
Pour ces raisons je ne suis pas sûre de retenter l'expérience Grégoire Bouillier mais je suis contente d'avoir vécu celle-ci, très en phase avec nombre de réflexions et de questionnements de l'auteur. On ne perd jamais son temps à explorer l'art, le geste artistique et son rapport à la société.
"S'il y a une vie après la mort, elle est dans les livres, elle est dans la peinture, elle est dans les arts. Nulle part ailleurs."
"Le syndrome de l'Orangerie" - Grégoire Bouillier - J'ai lu (Flammarion) - 540 pages
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