La maladroite - Alexandre Seurat
D'abord, il faut reconnaître que ce premier roman mérite amplement tout le bruit qui l'accompagne dans cette rentrée. Remarqué par nombre de jurés de prix littéraires, il bénéficie d'un éclairage favorable et d'un excellent bouche-à-oreilles. Ensuite, il faut dire le choc que sa lecture provoque, même quand on y est préparé, même quand on connaît le sujet dont la simple évocation suffit à faire naître un sentiment de révolte. Et ça, seule l'écriture peut le réaliser.
Le point de départ est donc une histoire vraie, une sordide affaire, une petite fille de huit ans victime de maltraitances qui ont fini par la conduire à la mort. Une affaire qui a marqué les esprits bien au-delà de la région où se sont déroulés les faits. Une de celles qui font se demander comment on a pu laisser faire, ne pas voir ou ne pas agir, comment le système a totalement failli. Ces questions, le romancier s'en empare, bien sûr, avec une grande pudeur. Mais il ne se pose pas en juge, ni en accusateur. Patiemment, avec méthode et surtout sans fioriture, il donne la parole à chacun des témoins et ainsi, par petites touches parvient à faire revivre la petite fille présente à jamais dans la tête de ceux qui ne pourront se pardonner ce qui est arrivé.
La structure qui alterne les témoignages donne une force terrible à chaque parole. Un peu comme dans ces documentaires filmés où l'on voit se succéder les interviewés devant un même fond neutre pour éviter tout parasitage et permettre de se concentrer sur les mots. Tous ont côtoyé de près la petite Diana. Sa grand-mère, sa tante, son institutrice, l'assistante sociale, la directrice de l'école, le médecin. Tous ont signalé les faits. Tous ont assisté médusés aux représentations données par les parents sur le thème de la famille modèle, de l'enfant maladroite, un peu attardée, qui se cogne partout. Aucun ne sera plus jamais en paix avec lui-même.
La force du livre est de faire de la petite Diana un personnage rayonnant, un personnage plus vivant que ceux qui l'entourent grâce à sa persistance dans l'esprit des témoins. Son regard, son rire, même ses mensonges envahissent les pages et semblent narguer les protagonistes en les renvoyant vers leurs manquements ou leur impuissance. Deux moments sont particulièrement poignants et justes, quand l'institutrice explique qu'elle ne peut plus exercer son métier et surtout, quand le frère aîné se demande ce qui aurait pu advenir s'ils avaient été autres plutôt qu'eux-mêmes.
Grâce à l'écriture, à la sobriété des mots qui contribue à leur puissance, on est au-delà du drame, dans un questionnement pur sur la valeur de la vie, le sens des responsabilités, le courage confronté à l'impuissance.
Un roman dérangeant, bouleversant mais nécessaire, à lire absolument.
"La maladroite" - Alexandre Seurat - La brune au rouergue - 122 pages