Celle que vous croyez - Camille Laurens
"L'amour est un roman que quelqu'un écrit sur vous. Et réciproquement". De là à dire que nous sommes tous des romanciers en puissance, il n'y a qu'un pas que Camille Laurens franchit avec une jubilation palpable et une liberté revendiquée. S'amusant à brouiller les pistes, à sans cesse renouveler l'histoire avec les mêmes ingrédients. Tout en assénant quelques vérités bien senties que l'on a toutes envie d'applaudir, tellement c'est bien vu.
C'est donc à un roman multi-facettes que nous avons affaire... Qui traite à la fois du tragique de la femme de 50 ans qui se voit soudain signifier sa date de péremption, de l'inanité des relations humaines envahies par le virtuel mais également du désir et de l'écriture. Ce monde virtuel qui augmente nos capacités à brouiller et à transformer le réel, quelle matière idéale pour un romancier !
Il y a donc une Claire (pas très nette, comme son nom ne l'indique pas), la petite cinquantaine, internée depuis deux ans dans une unité psychiatrique et racontant à son psychiatre, Marc, ce qui l'a menée jusqu'ici. Nous découvrons ainsi l'histoire de cette femme meurtrie par la désinvolture de son amant Jo, et qui décide de l'espionner grâce à un faux profil Facebook par l'intermédiaire duquel elle entre en relation avec Chris, ami proche de Jo. Elle devient donc une jeune Claire de 24 ans (la moitié de son âge réel), travaillant dans la mode (et non professeur d'université), etc. La relation virtuelle prend de plus en plus d'importance, Chris tombe amoureux de la fausse Claire, bref, on se doute que l'on court au drame... Mais. Est-ce bien la réalité ? Marc, le psy s'interroge en lisant le récit de Claire lors des ateliers d'écriture auxquels elle participe dans son processus thérapeutique. Des ateliers animés par une certaine Camille (tiens, tiens), elle-même écrivain et donc toujours en quête d'inspiration... Quand je vous dis que l'auteure s'amuse à brouiller les pistes...
Le reste, il faut le lire. C'est direct, parfois cru, facétieux et très maîtrisé. Outre la magnifique démonstration de l'écrivain sur son art, il y a des pages superbes sur l'écriture, le désir d'écrire qui se mêle au désir tout court. Et le portrait d'une femme qui tente de continuer à exister, à aimer, à désirer malgré les signaux que lui renvoie une société prompte à jeter ce qui n'est plus de première fraîcheur. Aussi ludique qu'intelligent.
"Nous inventons tous notre vie. La différence, c'est que moi, cette vie que j'invente, je la vis. Et que, comme toute créature, elle échappe à son créateur. Tu vas dire, si tu es mal luné, que je ne la vis que pour pouvoir l'écrire, que la vie n'est qu'un prétexte à l'écriture. Mais c'est tout le contraire. La vie m'échappe, elle me détruit, écrire n'est qu'une manière d'y survivre - la seule manière. Je ne vis pas pour écrire, j'écris pour survivre à la vie. Je me sauve. Se faire un roman, c'est se bâtir un asile".
"Celle que vous croyez" - Camille Laurens - Gallimard - 192 pages
Voir aussi le billet conquis de Clara.