Quand le diable sortit de la salle de bain - Sophie Divry
Voilà un livre pas très facile à chroniquer. Sur une base narrative somme toute plutôt simple – les tribulations d’une jeune trentenaire au chômage tentant de survivre avec quelques centaines d’euro par mois – Sophie Divry offre un récit qui n’a rien de simpliste ou de déjà-vu. Disons que nous sommes dans la veine d’une Titou Lecoq mais en plus poétique et surtout en plus désespéré même si on sourit beaucoup. Avec en prime un véritable univers que pour ma part je découvre.
Dans ce « roman improvisé, foutraque et pas sérieux » comme le définit elle-même l’auteure, le personnage principal, c’est la précarité. Celle qui vous laisse en dehors du tissu social, qui vous condamne à un rôle de spectateur plutôt que de participer à la vie qui se déroule au dehors avec ses tentations en tous genre. Dans notre société où tout est tourné vers la consommation, comment passer ses journées sans mettre la main à son porte-monnaie qui de toute façon est vide ?
La narratrice, écrivain qui manifestement ne vit pas de ses publications est bien déterminée à assumer son choix. Celui d’avoir lâché un travail qui l’ennuyait pour se consacrer à sa passion. Alors elle survit, une pige par-ci, une allocation par-là. Enchaîne les fins de mois difficiles où l’estomac crie famine, apprend à dénicher quelques combines pour s’offrir un repas. Donne le change pendant les repas de famille tout en ayant conscience de faire des provisions pour l’hiver. Sordide ? C’est sans compter sur la plume alerte de Sophie Divry qui convoque les personnages du roman qu’elle est en train d’écrire et même le diable pour animer un peu la discussion. Et lorsque cela ne suffit pas, ce sont les objets qui prennent la parole. La surprise est au coin de chaque page, dans la forme aussi d’ailleurs, la typographie participant artistiquement à ce joyeux marasme.
Sous cette mise en scène volontairement légère pointent néanmoins les effets pervers d’une société où l’on est vite largué si l’on ne peut en suivre les règles. Une société qui enquille les situations absurdes (ah les discussions avec Pôle Emploi !) et exploite sans vergogne les plus faibles. Ce livre dit parfaitement le désarroi de ceux qui ne peuvent répondre aux injonctions primaires de cette société : consommer, s’amuser, s’éclater.
Un drôle d’objet ce livre. Drôle et triste à la fois. Plein de fantaisie et de recherche notamment dans la forme. Qui abuse peut-être un peu des énumérations, mais bon, ce n’est pas très grave. L’important est qu’il touche une petite corde sensible en chacun de nous, celle qui consiste à vouloir réussir sa vie et s’assumer malgré l’hostilité du dehors. C’est, je pense ce qui a plu aux nombreux lecteurs qui ont déjà fait l’éloge de ce livre. Et qui a également résonné en moi.
"Quand le diable sortit de la salle de bain" - Sophie Divry - Notabilia - 312 pages