Treize façons de voir - Colum McCann
J'avoue une petite déception en refermant ce recueil dont j'attendais peut-être trop. Oh, ma lecture n'a pas été désagréable, loin de là, mais j'ai l'impression qu'il n'en restera pas grand-chose. D'habitude, dans un recueil de nouvelles, il y a au moins un texte qui m'interpelle ou m'émeut particulièrement et je me dis que, pour celui-là au minimum, ça valait le coup. Ici, je garde l'impression d'un boulot bien fait mais assez froid. J'ai souvenir d'écrits de l'auteur bien plus vibrants...
D'abord il y a un déséquilibre bizarre entre ce qui apparaît comme un court roman ou une novella - le texte qui donne son titre au recueil - et les quatre autres. J'ai peiné à y trouver une unité même si le thème des bouleversements du temps qui passe peut éventuellement tenir lieu de fil rouge et si l'Irlande est toujours évoquée même quand elle ne constitue pas le décor à proprement parler. On dirait presque que le premier texte (environ 150 pages) a été jugé trop court pour une publication et que le volume a été complété par les autres nouvelles afin de lui donner une allure plus imposante.
Cette première nouvelle, Treize façons de voir est d'ailleurs la plus intéressante (tant mieux, c'est la plus longue), notamment dans sa construction. On suit la dernière journée (mais ça, lui ne le sait pas) du vieux juge Mendelssohn désormais à la retraite et dont la mémoire n'est plus tout à fait aussi alerte que dans ses plus jeunes années. Si l'on sait très vite que le vieil homme va mourir c'est tout simplement parce que l'auteur bâtit son récit via les images restituées par les caméras qui ont été les témoins de ses dernières heures, chez lui, dans la rue, dans le restaurant où il déjeune. Cela donne des angles de vue divers et interpellant qui font le sel de cette histoire tragique. De quoi s'interroger sur ce qu'il reste d'une vie une fois qu'elle est passée, sur le destin, sur tous ces instants dont on n'a pas profité en ignorant qu'ils étaient les derniers... Intéressant donc, techniquement parlant. Mais pas bouleversant, comme si l'auteur avait tenu à maintenir le lecteur dans son rôle de voyeur devant ces images volées.
Des quatre autres textes, je n'en retiendrai qu'un intitulé Sh'kohl, mot hébreu qui désigne les parents en deuil d'un enfant. Un mot que j'avais déjà rencontré dans le très beau récit d'Angélique Villeneuve, Nuit de septembre, où l'auteur explique que l'hébreu est une des rares langues à proposer un mot pour désigner cet état particulier. Ici, Colum McCann livre peut-être sa nouvelle la plus poignante, mettant en scène une mère adoptive divorcée dont la relation exclusive avec l'enfant presque adolescent et souffrant de déséquilibres psychologiques est source de terribles appréhensions. La tension qui parcourt les pages est palpable, dans une ambiance qui rappelle Laura Kasischke.
Aucun regret de ma part sur ce livre notamment pour les deux textes dont j'ai parlé. Un livre qu'on ne peut s'empêcher de rapprocher du contexte qui a entouré sa publication (l'agression de l'auteur dans la rue) comme s'il avait été rattrapé par la fiction, même si heureusement pour lui il n'a pas connu la fin dramatique de son héros. Vous avez dit hasard ?
"Treize façons de voir" - Colum McCann - Belfond - 308 pages (traduit de l'anglais par Jean-Luc Piningre)