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Les vies de papier - Rabih Alameddine

5 Octobre 2016 , Rédigé par Nicole Grundlinger Publié dans #Romans

Les vies de papier - Rabih Alameddine

Il nous est rarement donné de côtoyer une telle héroïne, encore moins de participer à un tel hommage au pouvoir de la littérature. Aaliya est un personnage que l'on n'oublie pas, un de ceux qui nous marquent pour toujours. Le voyage auquel elle nous convie est celui d'une femme érudite qui trouve dans les livres le refuge que ne lui offrent ni les rues de Beyrouth en proie à des conflits armés incessants, ni le carcan de la société libanaise toujours trop liberticide pour les femmes.

Les vies de papier. Pour une fois, le titre français est superbement bien choisi. Ces vies, ce sont celles qui accompagnent Aaliya depuis toujours. Disons depuis que, pour son plus grand bonheur, son mari l'a répudiée après seulement quelques années de cohabitation, et qu'elle a trouvé à s'employer dans une petite librairie de quartier. Amoureuse des mots, trilingue, elle s'emploie à traduire en arabe quelques chefs-d’œuvre de la littérature étrangère à partir de traductions anglaises ou françaises. Ces traductions s'empilent chez elle dans des boîtes, elle n'a jamais envisagé de les faire publier, seul compte le plaisir de la traduction. En fait, Aaliya n'a jamais envisagé que son travail puisse intéresser quelqu'un d'autre qu'elle-même.

L'histoire de sa vie, elle nous la livre peu à peu, du haut de ses soixante-douze ans dont la plupart vécus dans ce même appartement du centre de Beyrouth. Enfance, mariage, voisinage, jalousies familiales et dehors, les guerres, la menace qui rôde sans cesse au bout de la rue. En parallèle, ses vies de papier. Les auteurs qui l'aident à vivre et à comprendre le monde. Les auteurs pour qui elle vit, tout simplement.

"J'étais une lectrice vorace, mais après la mort de Hannah, je devins insatiable. Les livres devinrent mon lait et mon miel. Pour me réconforter, je me récitais des formules naïves du genre "Les livres sont l'air que je respire", ou pire, "La vie n'a pas de sens sans la littérature", tout cela en une faible tentative d'éviter le fait que je trouvais le monde inexplicable et impénétrable. Comparée à la complexité de la compréhension du chagrin, Foucault ou Blanchot sont dans la catégorie des livres pour enfants."

En côtoyant Aaliya, peu à peu ce sont les réalités de la société beyrouthine qui s'offrent à nous, une société qu'elle observe avec lucidité, humour et surtout une bonne dose d'ironie nécessaire. Comment comprendre un monde où l'on s'entretue à longueur de temps ? Comment ne pas chercher des réponses auprès des grands auteurs ?

"La première réaction que l'on peut avoir est de se dire que les Beyrouthins doivent être sauvagement fous pour se massacrer les uns les autres au nom de divergences aussi triviales. Ne nous jugez pas trop sévèrement. Au cœur de la plupart des antagonismes se trouvent des similarités inconciliables. Des guerres de cent ans furent livrées pour divergences sur la question de savoir si Jésus était humain de forme divine ou divin de forme humaine. La foi est assassine".

Ce roman nous offre un magnifique personnage de femme, éprise de liberté, amoureuse de son pays autant que de la littérature. Un regard aussi sur le souffle, l'oxygène que fournit cette fenêtre sur le monde que sont les livres. Mais sur ce thème assez souvent abordé par les écrivains, c'est l'érudition joyeuse et généreuse de l'ensemble qui emporte le morceau. La démonstration parfaite de la façon dont la littérature nourrit un être.

Un roman enthousiasmant, dépaysant et délicieusement intelligent.

"Les vies de papier" - Rabih Alameddine - Les Escales - 330 pages (traduit de l'anglais par Nicolas Richard)

Voir aussi le billet enthousiaste de Clara.

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