Jeux de miroirs - E.O. Chirovici
Le marketing ne rend pas toujours service à un livre. Prenez ce Jeux de miroirs. Il s'avère être un très bon roman, intelligent, qui s'attache à analyser la psychologie des personnages et la mécanique passionnante de leurs cerveaux. Un de ceux qui valorisent l'intelligence du lecteur en le jugeant apte à suivre et à comprendre la démonstration. Or, il nous est présenté comme, je cite, "le roman événement au suspense haletant" ce qui est presque une tromperie sur la marchandise. Ce n'est pas le suspense qui fait l'intérêt de ce livre (et si suspense il y a bien, il n'est certainement pas "haletant"), c'est le contenu et la façon dont il est distillé, dévoilant au fur et à mesure les multiples facettes d'un même événement raconté par différentes personnes.
Le point de départ est d'ailleurs un régal pour tous les amateurs de littérature : un agent littéraire, Peter Katz reçoit un extrait d'un manuscrit intitulé Jeux de miroirs dont l'auteur, un certain Richard Flynn explique s'être inspiré d'un drame réel et non élucidé survenu 30 ans auparavant, l'assassinat du Professeur Wieder, un éminent spécialiste de psychologie cognitive sur le campus de Princeton. Intrigué, Peter se retrouve dans une impasse lorsqu'il apprend que Richard Flynn est récemment décédé et qu'on ne trouve aucune trace du reste du manuscrit. Il décide d'engager un ancien journaliste, écrivain en manque de succès pour remonter la piste de cette vieille affaire et, pourquoi pas ré écrire les parties manquantes. John Keller entreprend de retrouver les éventuels témoins encore vivants de l'époque. Débute alors un véritable challenge consistant à reconstituer la vérité à partir de témoignages à la fois ressemblants et divergents, et entraînant le lecteur à sa suite.
Au fil de l'intrigue et de la reconstitution des quelques semaines qui ont précédé le drame, les questions demeurent bien plus nombreuses que les réponses. Qui dit la vérité ? Le Professeur Wieder travaillait lui-même sur les mécanismes cognitifs et la façon de les manipuler en ôtant ou en ajoutant des souvenirs à ses sujets d'études. Comment être sûr que les souvenirs collectés par John Keller auprès des témoins qui ont tous pu être plus ou moins influencés par Wieder sont réels, imaginaires ou en quelque sorte provoqués ?
C'est bien à un jeu de la vérité que nous convie l'auteur. Entre apparences trompeuses, erreurs d'interprétation, manipulations et mises en abymes. Un jeu dont il déroule le scénario avec brio. Non, le suspense n'a rien d'haletant. Mais le plaisir du lecteur est réel et le résultat plus que convaincant.
"Jeux de miroirs" - E.0. Chirovici - Les escales - 320 pages (traduit de l'anglais par Isabelle Maillet)