La Disparition de Josef Mengele - Olivier Guez
Me voilà bien perplexe après cette lecture... Il me faut à présent tenter d'expliquer d'où vient ce sentiment de malaise qui m'a saisie après le premier tiers du livre et a rendu la fin de mon parcours assez pénible. Ce n'est pourtant pas la première fois que je saisis l'occasion offerte par un romancier d'explorer les versants les plus noirs de l'âme humaine en se glissant dans la peau et dans la tête des pires salauds que la terre ait portés. Le principe ne me gêne pas a priori. Alors ?
On ne peut pas taxer non plus Olivier Guez de complaisance. En retraçant les trois décennies de la vie de Mengele en Amérique du sud, il ne cherche jamais à provoquer la sympathie ou même la pitié envers ce criminel qui d'abord se cache, aidé en cela par les gouvernements argentins, paraguayens puis brésiliens, puis se terre, hanté par la peur d'être déniché par les chasseurs de nazis qui ont déjà efficacement montré de quoi ils étaient capables en enlevant Eichmann pour le juger et l'exécuter en Israël. L'auteur met sa plume au service de la compréhension de la nébuleuse qui a permis au bourreau d’Auschwitz de mener impunément sa vie à son terme. Réseaux d'anciens nazis et de collaborateurs aidés par les entrepreneurs allemands, amnésie de la scène politique allemande et internationale, complicité des dictatures sud-américaines et même quelques bourdes ou mésententes des services secrets israéliens sont autant de mailles trop lâches d'un filet qui n'a jamais pu se refermer. En faisant cela, il n'épargne aucun des protagonistes de cette odieuse organisation. A commencer par le "héros" lui-même :
"Sa femme Irene l'avait remis sur pieds. Arrivée à Auschwitz pendant l'été, elle lui avait montré les premières photos de leur fils Rolf né quelques mois plus tôt et ils avaient passé des semaines idylliques. Malgré l'ampleur de sa tâche, l'arrivée de quatre cent quarante mille juifs hongrois, ils avaient connu une seconde lune de miel. Les chambres à gaz tournaient à plein régime ; Irene et Josef se baignaient dans la Sola. Les SS brûlaient des hommes, des femmes et des enfants vivants dans des fosses ; Irene et Josef ramassaient des myrtilles dont elle faisait des confitures. Les flammes jaillissaient des crématoires ; Irene suçait Josef et Josef prenait Irene. Plus de trois cent vingt mille juifs hongrois furent exterminés en moins de huit semaines".
Insoutenable. Tout comme la suite, la complaisance pendant toutes ces années. Le romancier nous campe un Mengele aux abois, certes rongé par la peur mais toujours convaincu d'avoir œuvré pour le bien du peuple allemand et sans l'once d'un remord. La force de son écriture fait mouche : on est choqué, voire dégoûté... et ?
Et alors je n'ai pas pu m'empêcher d'avoir en tête pendant toute ma lecture le livre de Mémoires de Beate et Serge Klarsfeld qui ont consacré leur vie à la chasse aux criminels nazis et surtout à celle de leurs complices même implicites. Ceux qui préféraient "oublier" et passer à autre chose et qui sont la cause de beaucoup de temps perdu dans la traque. Et je ne peux pas m'empêcher de penser que ce roman n'apporte pas grand-chose en regard de ce fantastique travail. Et que peut-être, cette fois-ci la forme romanesque me gêne pour évoquer cette figure inqualifiable.
Je comprends que ce livre puisse fasciner, son écriture œuvre dans ce sens. Mais je reste sur mon sentiment de malaise, plus encline à conseiller le livre des Klarsfeld à quiconque voudrait avoir une vision plus exhaustive des enjeux de ces traques pour l'avenir de l'humanité.
"La Disparition de Josef Mengele" - Olivier Guez - Grasset - 240 pages
Les avis différents de Delphine et Joëlle.