Un autre Brooklyn - Jacqueline Woodson
En refermant ce livre, j'ai compris pourquoi il figure dans le trio de romans américains recommandés par la très talentueuse traductrice Céline Leroy également membre active du Picabo River Book club, un groupe de lecteurs sur Facebook dédié à la littérature nord-américaine. Ce roman, finaliste du National Book Award en 2016 distille tout en finesse une atmosphère empreinte de nostalgie, au fil des fragments de souvenirs égrainés par August, l'héroïne qui se remémore les années charnières de sa jeunesse, celles de l'enfance et de l'adolescence, fondatrices d'une vie.
C'est la mort de son père qui déclenche chez August ce voyage au fond de sa mémoire, jusqu'aux années 70, lors de leur installation à Brooklyn. Un père et un frère, mais pas de mère et derrière eux, les années d'enfance dans une maison du Tennessee. La découverte de Brooklyn, elle-même en pleine évolution que l'on observe à travers les yeux d'une enfant de 11 ans pour laquelle tout est neuf et synonyme d'étonnement. Et puis l'amitié, la rencontre de Sylvia, Angela et Gigi. Des aspirations, des rêves, des envies de réussite qui viennent souvent se fracasser sur les murs érigés par les adultes.
"Où que nous posions les yeux, nous voyions des gens s'efforcer de rêver leur départ. Comme s'il existait un ailleurs. Un autre Brooklyn."
Ce n'est pas chose facile que d'inviter un lecteur à partager des fragments de souvenirs et à lui faire ressentir l'ambiance de l'époque autant que l'intimité des sensations de personnages qui lui sont très éloignés. Pourtant, c'est ce qui se passe ici. Avec ces fragments assemblés comme un ouvrage de dentelle, l'auteure nous envoie des images, des sons qui forment un film aux couleurs un peu passées. Et ces fragments nous renvoient à nos propres souvenirs, à ces réminiscences de nos années d'adolescence qui surgissent par surprise, stimulées par on ne sait quelle association d'idée. Et qui viennent souligner, expliquer, interroger une situation que nous vivons plusieurs décennies après. On ne peut que saluer la subtilité de cette construction qui semble si simple mais qui résulte certainement d'un gros travail d'écriture. Grâce auquel on perçoit tout, la cruauté des rapports d'amitié qui mêlent jalousie et envie, la volonté de se raccrocher aux figures rassurantes de l'enfance, l'appréhension du monde des adultes à travers des bruits qui transpercent les cloisons, la contradiction entre l'envie de voler et celle de ne pas quitter le nid.
Et le charme opère... jusqu'aux dernières lignes qui nous rappellent que nous appartenons tous à cette grande confrérie humaine. Une très jolie lecture, subtile et juste.
"Un autre Brooklyn" - Jacqueline Woodson - Stock (la cosmopolite) - 166 pages (traduit de l'anglais pas Sylvie Schneiter)
NB : Le Picabo River Books Club rassemble sur Facebook les amateurs de littérature d'Amérique du Nord ; il est animé par Léa Mainguet du blog Léa Touch Book