La Somme de nos folies - Shih-Li Kow
La littérature prend des formes multiples, on le sait. Loin des débats autour de l'autofiction et autre immersion de la réalité dans la fiction, les éditions Zulma ont le chic pour dénicher des petites perles, de ces histoires qui vous font voyager, vous immergent dans d'autres atmosphères que la vôtre et s'appliquent à réenchanter le quotidien. C'est encore le cas avec La Somme de nos folies, premier roman malaisien à l'écriture aussi chatoyante que sa couverture.
Direction Lubok Sayong, une petite ville au nord de Kuala Lumpur (KL pour les intimes), un endroit isolé par sa topographie, cette cuvette entre rivières et lacs qui place l'eau au cœur de ses actualités. Inondations, petits ponts de bric et de broc et histoires poignantes de poissons rouges... bref, on ne s'ennuie pas. Ici vit Beevi, un personnage féminin comme on en rencontre trop peu, authentique et auréolé d'une certaine grâce, qui s'attache à redonner vie à la grande maison héritée de son père pour la transformer en bed and breakfast. Pour la seconder, un ami fidèle, Auyong, qui dirigeait une conserverie de litchis avant de prendre sa retraite dans cette petite ville et des tas de personnages secondaires, hauts en couleurs, mais chacun important à son niveau. Et puis Mary-Ann, l'orpheline que la sœur de Beevi avait décidé d'adopter avant de trouver accidentellement la mort et qu'elle prend donc sous son aile.
A travers la chronique de cette petite ville se dessine un portrait de la Malaisie, au carrefour des traditions et de la modernité. Une Malaisie multiculturelle avec les frottements que cela provoque entre les différentes communautés, mais également une Malaisie tournée vers le tourisme et obligée de jongler entre réalité et image d’Épinal. Tout ceci est vu par le prisme des habitants de Lubok Sayong, à l'écart des grands centres modernes et où l'empreinte des légendes ancestrales est encore très forte. Une sorte de havre de paix, encore préservé, où Mary-Ann grandira entre les histoires de Beevi et la tendresse de Miss Boonsidik (sorte de gouvernante transgenre) avant de faire le grand saut vers la capitale et l'avenir.
La Somme de nos folies est un roman enchanteur, dépaysant et apaisant, qui cache sous une apparente légèreté de ton une véritable fresque représentant une population et un pays. On se laisse porter par la langue d'une conteuse née, qui n'hésite pas à puiser dans le riche patrimoine culturel du pays les histoires qui captivent petits et grands. On oublie l'Europe, le béton et le gris du ciel. Et on se dit qu'on tenterait bien de dénicher la maison d'hôtes de Beevi si elle existe, histoire d'aller l'écouter raconter ses fameuses histoires enrichies au fil des narrations, se ressourcer et voir si on ne trouverait pas un poisson rouge à adopter... Il paraît que là-bas, ils se nourrissent de pêcheurs et grandissent tellement qu'ils font déborder les lacs dans lesquels on les relâche.
"La Somme de nos folies" - Shih-Li Kow - Zulma - 368 pages (traduit de l'anglais par Frédéric Grellier)