Einstein, le sexe et moi - Olivier Liron
"C'est marrant, je parle du corps, mais j'ai l'impression que les mots ont encore plus de pouvoir que les coups, que les mots sont les coups qui ne partent jamais, les plus indélébiles, les plus violents pour le corps, justement. Je pense que le mot que j'ai entendu le plus jusqu'à mes quatorze ans est "gogol".
Oui. Et les mots, leur force, mis au service de la littérature, cela donne Einstein, le sexe et moi, deuxième roman d'Olivier Liron, autiste Asperger qui a le même âge que Novak Djokovic et un an de moins que Rafael Nadal, a du mal à comprendre le sarcasme ou l'ironie, calcule en un rien de temps le produit de 247856 par 91, aime les lasagnes et nous convie, là, comme ça, dans son monde. Pour cela, il utilise un fil rouge, sa participation il y a quelques années au fameux jeu télévisé Questions pour un champion animé par Julien Lepers. Ceux qui connaissent savent que les participants sont des puits de science, surtout animés par le désir d'avoir réponse à tout, loin des attraits pour les gains mirobolants proposés par d'autres jeux moins axés sur le savoir.
Au début, c'est surtout l'humour que l'on perçoit. L'émission et ses coulisses, l'observation des différents candidats, l'atmosphère de compétition qui anime peu à peu les protagonistes et le regard malicieux porté sur Julien Lepers contribuent à faire naitre des sourires sur les lèvres du lecteur et nous offrent des scènes vraiment cocasses. Un brin de moquerie mais aussi une bonne dose d'autodérision permettent d'installer confortablement le lecteur dans ce qu'il pense être une lecture divertissante. Et puis, peu à peu, l'émotion gagne. Parce que derrière la scène et la bataille des cerveaux, l'auteur se dévoile. Parce que chaque étape du jeu ouvre la voie à l'introspection et emmène le lecteur toujours un peu plus loin dans le monde d'Olivier Liron.
"Je me suis rempli la tête d'informations pour peupler ma solitude. Pour oublier l'essentiel, pour dompter l'absence et le chagrin. Comme si apprendre des milliers d'informations sans queue ni tête, peupler la mémoire était un réflexe de survie".
L'homme se livre, les véritables enjeux affleurent, les luttes quotidiennes depuis l'enfance aussi. Pour l'inclusion dans une société qui rejette les différences. Et toute la réussite de ce livre tient au subtil équilibre entre rire et larmes, alors qu'on est souvent si proche du déséquilibre que l'auteur rend palpable. Il dit, bien sûr, le soutien (bien plus que le soutien, le salut) puisé dans la littérature, la poésie. Les mots, donc. Qui cette fois sont une arme pour tenter de lutter contre le rejet. Et prennent la forme d'un très bel objet littéraire.
Mais je vais laisser le mot de la fin à Olivier Liron, en reprenant simplement un extrait de ses "lignes de suite" qui concluent chaque ouvrage édité par Alma d'un mot de l'auteur : "Face à la violence du monde, que peut la littérature ? Je n'ai pas la réponse. Mais l'écrivain doit faire deux choses. Ne pas mentir sur ce qu'il sait. Jamais. Et lutter de toutes ses forces contre l'exclusion. Quoi d'autre sinon cela ?"
"Einstein, le sexe et moi" - Olivier Liron - Alma - 196 pages