Un cadenas sur le coeur - Laurence Teper
"Toute vérité franchit trois étapes. D'abord elle est ridiculisée. Ensuite elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme une évidence". Cette exergue, citation d'Arthur Schopenhauer, on l'apprécie mieux lorsque, le livre refermé, des questions plein la tête, on revient au début décidé à feuilleter encore un peu ce drôle d'objet qui décidément n'est jamais tout à fait ce que l'on pense qu'il est. Car cette quête de la vérité orchestrée par Laurence Teper est tout sauf linéaire ou convenue. Oh, les ingrédients sont bien communs à nombre de romans, des zones d'ombre dans le passé familial, des non-dits voire des mensonges ; mais le parcours de l'héroïne, dont le prénom, Claire, n'est certainement pas choisi au hasard ne cesse d'intriguer le lecteur sans jamais tomber dans la facilité.
Dans ce récit en trois actes, comme autant de tableaux d'une pièce de théâtre, on plonge d'abord dans l'enfance, ou plutôt cette zone particulière entre fin de l'enfance et début de l'adolescence. Le regard encore naïf posé sur les adultes, les observations étonnées de Claire sur le comportement de ses parents, sa mère surtout et de la famille Coquillaud avec laquelle ils passent les vacances d'été sur la côte Atlantique. C'est frais, amusant pour le lecteur qui décrypte les images que l'enfant ne perçoit qu'au premier degré. Les actes suivants seront ceux des révélations et de la quête de la jeune femme dont la vie semble régie par des sensations et des contraintes inexpliquées. Un parcours compliqué, rendu encore plus difficile par le comportement toujours plus intrigant de sa mère et le mur de silence que chacun lui oppose. Et petit à petit, l'émotion gagne. Le combat de cette jeune femme, volontaire, bonne élève, à la fois fragile et forte, bien décidée à avancer pour elle-même parce qu'il n'est jamais trop tard pour se délester des poids qui entravent, ce combat touche au cœur.
"Rien ne tient. Il faut tout reprendre. Les dates, les faits, les discours. Il faut tout reprendre. Rien ne tient". Le psy que Claire finit par consulter est là pour rappeler que le cerveau fabrique des histoires avec la matière dont il dispose et que la vérité ne peut se révéler que par des faits. C'est donc une véritable enquête que va devoir mener Claire pour retracer l'histoire de ses deux familles, maternelle et paternelle et trouver l'origine de ses failles qui prennent leur source, comme c'est souvent le cas, bien avant sa naissance. De quoi l'aider à se réconcilier avec elle-même.
J'avoue avoir été d'abord déstabilisée par la tonalité du début, tout en fausse légèreté avant d'en comprendre le sens en avançant et d'en apprécier toute la justesse au moment de l'épilogue. Grâce à ce parti-pris, l'auteure évite toute mièvrerie ou excès d'apitoiement. Elle campe des personnages de théâtre, aux traits un peu épaissis pour être bien perçus des spectateurs du fond de la salle. Mais à la fin, quand le rideau tombe, voilà notre héroïne débarrassée des artifices qui entravaient son jeu. Et enfin libre de vivre.
Et quel joli choix de citations, qui ouvrent chacune des parties, notamment celle-ci, de Christian Bobin, en exergue de l'épilogue : "Il y a un critère de la vérité, c'est qu'elle vous change : ça bouleverse comme un amour, la vérité".
"Un cadenas sur le cœur" - Laurence Teper - Quidam - 192 pages
Lire aussi l'avis de Keisha qui trouve ce roman "plus malin qu'on ne le croit"