L'appartement du dessous - Florence Herrlemann
Voici donc un roman qui défie l'air du temps, les codes numériques, le règne du virtuel et des écrans. Un roman qui prend le pari de remettre au goût du jour le plaisir de la correspondance. La vraie. Avec du papier, un stylo (plume de préférence) et une enveloppe. Un roman épistolaire, sans un gramme de texto, encore moins d'email, et bien sûr, pas une trace de messagerie instantanée. Au début, ça fait drôle, on n'a plus l'habitude... Il y a quelque chose d'incongru. Et puis très vite, ça marche. On se laisse prendre à ce petit jeu qui prend tout son temps pour laisser percer les enjeux, lettres après lettres et parvient à installer une véritable tension dramatique.
Voici donc Sarah, une très jeune femme, qui prend possession de son nouvel appartement après quelques travaux, dans un immeuble cossu du haut-marais. A peine installée, quelle n'est pas sa surprise de découvrir une lettre sur son paillasson. Hectorine, sa voisine du dessus lui souhaite la bienvenue. Les missives se multiplient, au grand désarroi de Sarah, déroutée par la méthode de cette vieille dame qui avoue 104 ans et ne sortir que très rarement de chez elle. Les réponses de Sarah sont d'abord très laconiques, tandis que de son côté, Hectorine laisse entendre que le feuilleton qu'elle déroule dans ses lettres à l'attention de Sarah a un sens que la jeune femme comprendra le moment venu. Peu à peu, un lien se tisse tandis que la vieille dame détaille les grands moments de sa vie qui traverse le siècle et ses souffrances.
Il y a des tas de choses qui rendent cette lecture plaisante. La personnalité d'Hectorine, riche de son siècle d'expériences, fille d'une mère amoureuse de Marcel Proust et qui passe son temps à cuisiner des madeleines pour gâter les gens qu'elle aime. Européenne avant l'heure, de père allemand et de mère française. Une femme que l'on devine peu à peu libre, émancipée, éprise des mots et de sa vieille machine à écrire. Solitaire aussi. Marquée par un drame. Forcément quand on a traversé le 20ème siècle. Il y a cette atmosphère désuète qui règne dans ce drôle d'immeuble où Sarah est la seule à compter moins de sept décennies. Et puis, il y a cette relation épistolaire très bien menée, dans des styles forcément très opposés. La plume à l'ancienne de la doyenne, qui distille ses lettres comme jadis les feuilletonistes dans les journaux. Le style sec de Sarah, qui avoue ne pas aimer écrire, et surtout pas sur du papier. L'évolution de cette correspondance laisse peu à peu apparaitre, outre la tendresse qui nait entre les deux femmes, tout ce qui sépare ces deux générations. Le rythme. Les préoccupations. Le quotidien. Et leurs mots sont autant de passerelles nécessaires.
Oui, il est plaisant de se laisser porter par un roman qui fait confiance aux mots pour soigner les âmes, reconstituer les histoires et relier les individus. Rien que pour ça, on a très envie d'en recommander la lecture.
"L'appartement du dessous" - Florence Herrlemann - Albin Michel - 254 pages