Comme la chienne - Louise Chennevière
S'il y avait des typologies de lecteurs, je me classerais dans celles qui privilégient l'intrigue, la narration à la forme. Mon esprit cartésien ayant souvent besoin que l'on sollicite son intelligence et qu'on lui déroule quelque chose qui se tient, qui a du sens, une sorte de démonstration planquée sous des attributs bien romanesques. Ça ne veut pas dire que je ne lis que ce type de romans, que je ne suis pas touchée par d'autres écritures mais enfin, c'est plus rare... Et pourtant. Pourtant, ce sont les mots, les phrases, la musique de ce texte qui m'ont emportée, scotchée, soufflée. Au bout de quelques pages, j'avais oublié tous mes principes, seulement portée par le rythme, par la force qui se dégage de chaque image sous la plume acérée et diablement inspirée de l'auteure. Une force à l'état brut, des mots qui portent toute la violence du monde. Du style, beaucoup de style.
Ici s'entremêlent des voix de femmes, trop longtemps contenues, retenues. Les voix de toutes celles qui taisent, cachent, ignorent, oublient, refoulent, redoutent, aiment, haïssent, questionnent, subissent, se soumettent. L'auteure leur offre ici l'occasion de se lâcher, de sortir, de hurler ou de murmurer. Elles parcourent les pages gonflées de siècles de silences, se coulent de ligne en ligne comme un souffle de vie que se passeraient des individus de bouche en bouche. A travers elles, les questions universelles qui traversent chaque femme sous le regard et le joug d'une société dominée et dirigée par les hommes, jusque dans l'intimité. Et ce souffle de vie qui se transmet, anime les scènes les unes après les autres, fait rugir les mots, sans fard, crûment, avec une rare vérité. C'est fort, c'est beau, ça remue.
Pour une fois, je n'ai pas eu envie de me raccrocher à une histoire. Je voulais simplement continuer à lire, à déguster ces phrases, à me laisser surprendre par leur construction et l'usage insolite des pronoms et de la ponctuation qui contribue à ce rythme singulier. De toute façon, ce n'est pas un livre qui se raconte, c'est un livre dans lequel on entre comme dans un révélateur, parce qu'il dit des choses qui parlent forcément à chacune des femmes tapies en nous. Il met des mots sur des sensations, des doutes, des incompréhensions qui résonnent en chaque femme. Mais ces mots viennent des tripes et sont faits pour être reçus par les tripes. Ils expriment le corps, sa place, ses empêchements, ses douleurs, sa jouissance, son asservissement. Ils disent les batailles qui se livrent dans ces corps de femmes depuis la nuit des temps, et, pour chacune, un éternel recommencement.
Et moi, ce livre m'a mise K.O., par son style, sa force, son souffle. C'est un premier roman, paru en avril, discrètement. Bien trop discrètement.
"Comme la chienne" - Louise Chennevière - P.O.L - 252 pages
Ce roman est l'un des six en lice pour le prix littéraire de la Fondation pour la vocation.