Ordinary People - Diana Evans
Ça n'a l'air de rien, une année dans la vie de gens ordinaires. Pas d'événement spectaculaire, aucune action héroïque. Juste un couple, des rêves enfouis sous des couches de quotidien et de renoncements discrets qui tentent parfois une percée, des liens qui se détendent sans que l'on s'en rende vraiment compte, des illusions éteintes que l'on voudrait rallumer. En vain. Il faut une belle acuité et une plume futée pour en faire de la littérature, et de la bonne. Un vrai talent dans la narration également. Diana Evans possède tout ceci et offre avec Ordinary People un tableau subtil dans lequel je me suis immergée avec beaucoup de plaisir.
Le lecteur est invité à la suite de Michael et Melissa, les "M&M's" comme les nomment leurs amis qui les considèrent comme "le" couple modèle, image que les intéressés s'attachent à nourrir malgré les fissures que l'on entrevoit peu à peu. D'une fête de Noël à l'autre, une année sera passée, on fêtera l'élection de Barack Obama, on pleurera la mort de Michael Jackson et on regardera bouger lentement mais sûrement les cellules familiales, chez Michael et Melissa mais également chez leurs amis, Damian et Stephanie. Dans une ville de Londres multiculturelle et métissée, ces enfants d'émigrés peinent encore à asseoir leur identité, à la fois lancés dans la vie londonienne et tiraillés par des héritages qui les rattachent à leurs origines. Un contexte qui vient renforcer les déchirements habituels qui sapent peu à peu les couples : Melissa a cru maitriser la situation en quittant un job prenant de journaliste à la naissance de son deuxième enfant pour se lancer en free-lance, Michael se demande tous les jours où est passée la Melissa des débuts et rentre de plus en plus tard dans ce foyer qui lui pèse sans qu'il pense un instant à se remettre en question. Dans les têtes, les années d'avant défilent, on tente de comprendre comment, en une douzaine d'années, on en arrive là dans une relation, à s'envoyer des textos secs avec la liste des courses.
Diana Evans est au plus près de ses personnages et excelle à saisir le presque rien, le pas grand-chose, tous ces petits grains qui viennent gripper la machine. Qui tiennent aux différences d'aspirations que l'on ne s'avoue pas toujours ou que l'on pense pouvoir faire évoluer ou disparaitre chez l'autre. A la réalité crue qui vient percuter les fantasmes nourris par une imagination trop naïve. Aux mensonges que l'on se fait à soi-même avant d'en faire aux autres. Aux petites lâchetés du quotidien. L'auteure ausculte la relation entre Michael et Melissa dans un crescendo subtil qui trouve son paroxysme à mi-chemin du roman, dans une scène d'une force implacable qui clôt le chapitre 7 et m'a laissée K.O alors qu'on était encore loin d'en avoir fini. Certaines routes divergeront, d'autres tiendront le cap. Une année, c'est court et c'est très long lorsque l'on passe chaque seconde à se demander si on est bien là où l'on doit être...
"La passion, dans sa vérité la plus vraie et la plus féroce, ne fait pas bon ménage avec le dentifrice. Elle n'attend pas que l'on se soit démaquillée et exfoliée. Elle veut de la spontanéité. Elle réclame de l'imprudence. La passion est toujours un peu grossière, et ils étaient trop propres, une fois leurs visages lavés, leurs bouches rafraîchies, les portes, les fenêtres, la cuisinière et les robinets vérifiés pour que la maison ne brûle, n'explose ou ne sombre sous les eaux".
Tout le roman tient sur la finesse du regard que pose Diana Evans sur ce qui constitue un individu, ses failles, ses doutes, ses imperfections, tout ce qu'il n'a pas réglé avec son enfance, ses origines et qui influence sa façon d'appréhender l'avenir. Tout ce qui revient parfois, sur une simple chanson.
"C'est incroyable ce que la musique peut charpenter une vie, et te la rendre par pans entiers, alors que tu pensais avoir tout oublié".
"Ordinary People" - Diana Evans - Globe - 382 pages (traduit de l'anglais par Karine Guerre)